la citation dans Faire le mur de Maximilien Le Roy et Tout seul de Chabouté.
Mémoire
par
Nadège - ROCHE
Sous la direction de Calle-Gruber, Mireille - Degeneve, Jonathan
master 22010-2011- Université Paris 3- Lettres
Paris- France
Au premier abord, Faire le mur et Tout seul sont deux œuvres très différentes. Nous avons fait le choix de regrouper ces deux bandes dessinées pour leur exemplarité du point de vue des citations. C’est un enjeu théorique qui a initié le rapprochement. L’étude de ces deux bandes dessinées nous a permis d’étudier le processus citationnel dans l’art séquentiel et d’en voir la spécificité.
mots-clés : citation ; Le Roy, Maximilien ; Chabouté, Christophe
Étudier {Tout seul} ou {Faire le mur} ne peut se faire sans prendre en compte les citations, au cœur des deux œuvres. Celles-ci constituent un outil et un ressort de la diégèse. De plus, les citations acquièrent une grande ampleur du fait de leur insertion dans une bande dessinée. Celle-ci possède un fonctionnement similaire à celui de la citation et exacerbe ainsi les caractéristiques de cette dernière. Les deux aspects de la citation s’expriment donc parfaitement au sein de ce média. Rappelons en effet que la citation est un objet double, à la fois déplacement d’un texte vers un autre et marque de l’hétérogénéité dans un texte. Tout d’abord, la citation et la case de bande dessinée se situent toutes deux en déséquilibre entre un axe horizontal et vertical. Cette similitude permet à la citation de convoquer la situation d’énonciation initiale et son énonciateur lorsque la case se fait tableau. Néanmoins, l’intégration de la citation dans le nouveau contexte est permise par l’insertion de la citation dans la double page et son interaction continuelle avec le péri-champ. De plus, la bande dessinée permet d’étudier en parallèle citation textuelle et citation iconographique. L’étude de la citation dans ce média nous a fait prendre conscience de l’importance du cadre pour la reconnaissance des citations, maiségalement pour leur intégration. En effet, si le cadre sert à délimiter des non grammaticalités, il permet de les insérer grâce au « montage ». Les fragments autres sont alors associés et agencés dans le corps du texte afin de créer une cohérence et une continuité dans l’ œuvre. La citation, parfaitement intégrée dans la dynamique de la bande dessinée, est soumise aux règles narratologiques du média. Nous remarquons alors que la place des citations n’est pas anodine et contribue à augmenter les effets d’attente, accroître des effets de contraste ou à persuader. L’emplacement des citations et leur inscription dans des rapports texte-image constituent un outil majeur dans la narration des deux œuvres étudiées. Cependant, les deux œuvres ne font pas la même utilisation des citations. Dans {Tout seul,} elles sont le ressort principal de la diégèse qui progresse par boucles successives conduisant de la définition du dictionnaire à la représentation mentale correspondante puis, de nouveau, de l’imagination à la découverte d’un autre article. Elles sont à la base d’un monde imaginaire où les référents naissent de l’entrelacement entre les éléments imaginés et les référents préalablement connus. Les citations, dans la bande dessinée de Chabouté, posent donc la question du rapport entre les représentations du monde, que ce soit les articles de dictionnaire ou les photographies, et le réel. Or cette question est liée avec l’objet citation puisque la bande dessinée de Maximilien Le Roy, malgré tous les éléments qui la séparent de l’oeuvre de Chabouté, la traite à son tour. {Faire le mur} traite en effet du langage comme le témoigne le titre. Ce dernier peut en effet être considéré sous deux aspects correspondant au figement et au défigement de l’expression « faire le mur ». L’oeuvre de Maximilien Le Roy est saturée de citations. Elles sont utilisées comme outils de persuasion afin de montrer au lecteur la force des mots et des images. Citer les paroles d’autrui, c’est montrer de quelle manière le langage peut devenir une arme puissante, et cela tant pour les Palestiniens que pour les Israéliens. Ces derniers s’appuient déjà sur une manipulation médiatique permettant diriger l’opinion publique en leur faveur. Les signes peuvent en effet se dissocier de leur référent et être appropriés par les médias. Il n’y a alors plus de coïncidences entre le mot et la chose et la perception des référents s’en trouve affectée. La plupart des occidentaux en arrivent à penser que « palestinien », « barbe », « voile » renvoient sans aucun doute au « terroriste ». La bande dessinée de Maximilien Le Roy propose alors de défaire ces raccourcis et de réinvestir le langage afin d’apporter un autre point de vue. Faire le mur insiste sur l’importance de témoigner et d’apporter une parole différente de celle véhiculée par les pouvoirs politiques ou les médias. La bande dessinée de reportage rapporte ainsi le discours de Mahmoud et un regard différent sur la construction du mur. Faire le mur apporte une vision fidèle de la situation telle qu’elle a été perçue par Maximilien Le Roy. Les deux bandes dessinées nous ont ainsi permis d’observer l’implication de la citation à l’intérieur de la diégèse et de mettre en relation les caractéristiques narratives de la citation et les sujets abordés dans les oeuvres. Tout seul et Faire le mur reposent essentiellement sur la citation. Bien que les sujets traités diffèrent, les mêmes problématiques sont en jeu. L’enfermement et la question de l’accès au réel à partir du langage dominent les deux oeuvres. La citation semble alors le meilleur outil narratif capable de prendre en charge de telles questions. Par son fonctionnement, la citation a la capacité de sortir d’un univers clos et de renvoyer à un ailleurs. Les deux bandes dessinées n’arrivent pourtant pas à la même conclusion. L’une affirme une impossible prise en charge du réel par les représentations du monde du dictionnaire ou des photographies et préconise le contact direct avec le monde. L’autre dénonce également cette opacité du langage, mais propose un témoignage comme autre point de vue afin de contrer la manipulation à l’initiative des pouvoirs politiques et des médias. Si la représentation du réel est profondément subjective elle constitue une arme efficace capable de modifier les référents.