transversalité du dessin sur la scène contemporaine
Fait un petit tour, en début de semaine, au Salon du dessin contemporain qui, pour sa quatrième édition, investissait le Carrousel du Louvre.
Soixante-dix galeries françaises et internationales exposaient des œuvres sur papier. L’occasion était belle de vérifier que les artistes contemporains sont de plus en plus nombreux à faire retour vers la figuration, et même vers des genres canoniques comme le dessin de paysage ou le portrait.
Quant aux artistes de bande dessinée, ils n’étaient pas absents de cette manifestation. La présence de planches originales de Gilbert Shelton (l’auteur des Freak Brothers), représenté par la galerie Gilles Peyroulet et Cie, paraissait un peu incongrue ; une citation de l’intéressé s’efforçait de lui donner une justification : « Underground comix are more like art and less than comics ». Explication un peu courte, mais on sait que dans le monde de l’art contemporain, le discours a très souvent une valeur performative. Puisqu’on vous dit que c’est de l’art, et non des Petits Miquets !
La Galerie Slomka, pour sa part, ne s’embarrassait pas de précautions : son accrochage présentait pêle-mêle, comme avant une vente spécialisée à Drouot, des œuvres de Geluck, Greg, Moebius, Liberatore, et surtout des planches de Tabary, Jean (le père) et Nicolas (le fils, repreneur d’Iznogoud). Beaucoup de planches de Tabary, énormément de planches de Tabary dont, pour le coup, on se demandait vraiment ce qu’elles venaient faire dans un salon d’art contemporain, fût-il consacré au dessin.
Non, ce qu’il fallait retenir, c’était plutôt les œuvres exposées par Jochen Gerner et Killoffer (galerie Anne Barrault), par Frédéric Coché (galerie La Ferronnerie) et par Frédéric Poincelet (galerie Catherine Putman). Les détournements d’images et productions sérielles de l’un, les compositions surréalistes de l’autre, les réinterprétations au crayon de tableaux ou de photographies célèbres, par le troisième, enfin les mise en scène érotiques et énigmatiques du quatrième étaient autant de contributions convaincantes à ce vaste panorama des approches contemporaines du dessin. Ces œuvres témoignaient du fait que plus d’un auteur de bande dessinée de la jeune génération se veut aussi, désormais, artiste de galerie, « plasticien » à part entière, et produit à cette fin, à côté de son œuvre de librairie, des images spécifiques que le monde de l’art reconnaît comme siennes.
Au chapitre des rencontres réussies entre la bande dessinée et les autres formes d’expression contemporaines, on signalera aussi la belle exposition « Archéologie des souvenirs d’enfance autour de Sylvain et Sylvette » présentée jusqu’au 24 avril à la galerie Le Préau des Arts, à Maxéville (près de Nancy). Cette exposition réunit 48 artistes et créateurs d’horizons divers, mêlant bande dessinée, stylisme, texte, son, photo, dessin, peinture et sculpture. Avec le retour annoncé de Moebius à la Fondation Cartier, ou la parution imminente du premier numéro de la nouvelle revue Collection, qui se donne pour raison d’être de mettre en avant la transversalité du dessin (Charles Burns ainsi que Ruppert et Mulot figurent au sommaire de ce n° 1, aux côtés de graphistes, illustrateurs et plasticiens), ce sont autant de signes qui, venant après bien d’autres, confirment que la bande dessinée sort enfin de son ghetto et noue un dialogue fécond avec d’autres formes.
Pour en revenir au Salon du dessin contemporain, quelle n’a pas été ma surprise d’y retrouver la trace de Jean-Luc André. Auteur de quelques bandes dessinées d’avant-garde dans les années 1980 (en particulier les deux volets de L’Étoile Ming, chez Dargaud et aux éditions du Phoque), celui-ci s’était ensuite fait complètement oublier du monde des comics. En marge de sa production de galerie, André autoédite pourtant depuis quelques années – sous le label Illusion Production – des bandes dessinées de petit format, dont la plupart des dessins sont repris d’épisodes des populaires Battler Britton, Totem, Mustang, Rodéo, Zembla et Akim (« pockets » parus chez Impéria, Mon Journal ou Semic).
Dans Poème sombre en noir et blanc (2005), Poème tanpatatrique (2006) et Poème mal barré (2008), dans le droit fil des détournements pratiqués par les situationnistes à la fin des années soixante, il prête à ces cow-boys, ces soldats de la Wehrmacht et ces fils de la jungle des dialogues quelque peu ésotériques, truffés d’emprunts et d’allusions… aux situationnistes, précisément, mais aussi à Deleuze, à Wittgenstein ou à l’école freudienne de Paris. On trouvera difficilement illustration plus littérale de la notion de mélange des genres.