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Strinati et l'âge d'or

Jean-Paul Gabilliet

[Avril 2024]

Les premiers mouvements bédéphiles apparaissent quasi-simultanément en France et aux États-Unis dans la première moitié des années 1960. Dans les deux cas, on constate la présence dans leurs discours de références à un « âge d’or » du moyen d’expression dont ils entreprennent de faire la promotion.

L’utilisation de cette métaphore apparaît comme un quasi-réflexe dès lors que des individus s’attachent à construire l’histoire d’un champ intellectuel ou créatif : parler d’un « âge d’or », c’est instituer un regard simultanément rétrospectif et nostalgique qui fonctionne comme un non-dit contribuant à légitimer une parole historiographique.

Couverture de Alter Ego n° 1 volume 3, 1999

En France, la source initiale considérée comme fondatrice de la démarche bédéphilique est la « chronique littéraire » de Pierre Strinati intitulée « Bandes dessinées et science-fiction. L’âge d’or en France (1934-1940) » publiée en juillet 1961 dans le numéro 92 du mensuel Fiction, qui est alors la principale revue française à destination des amateurs de science-fiction. À l’aube des années soixante, des trentenaires révèlent soudainement leur nostalgie de l’américanisation qu’avaient subie les journaux illustrés de 1934 à l’immédiat après-guerre. Simultanément, les bédéphiles étasuniens de la même génération commencent à évoquer un Golden Age englobant les comic books publiés de la fin des années trente au début des années cinquante.

À gauche : Fiction n° 92, 1961
À droite : article de Pierre Strinati dans ce même numéro, 1961

La nostalgie très ciblée d’amateurs de science-fiction et de bande dessinée accouche d’une catégorie chronologique faisant émerger un corpus patrimonial « nouveau », enfin arrivé à l’âge de la reconnaissance. Parés des atours d’un « âge d’or » vieux d’à peine un quart de siècle, les illustrés parus dans les années trente et quarante deviennent ainsi le corpus autour duquel se construit la nouvelle pratique culturelle de la bédéphilie.

À gauche : "Guy l'Éclair" (Flash Gordon) d'Alex Raymond, Robinson n° 1, 1936
À droite : "La Famille Illico" (Bringing up Father) de George McManus, Robinson n° 10, 1936

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Bédéphilie