le miquépithèque
Planche 3, 1983, 29,8 x 22,5 cm, encre de chine, photocopie et collage sur papier.
quand francis masse décortique le mickey
Cette planche est extraite du Miquépithèque, la seule histoire de Francis Masse présente dans les collections du Musée de la bande dessinée, est initialement parue dans la revue (A Suivre) en 1984. Le Miquépithèque fait partie de la série d’histoires courtes qui sera reprise plus tard dans l’album Les Deux du balcon aux éditions Casterman. Masse y met en scène les deux protagonistes récurrents de ces histoires, qui, comme l’indique le titre, sont assis à un balcon, et dissertent sur des sujets aussi variés que déroutants, mais touchant toujours à la science ou à la métaphysique. Dans cet épisode, comme dans beaucoup d’autres, le ton se veut toujours très sérieux, digne d’une véritable pensée scientifique. Les deux héros qui ne sont pas sans rappeler les personnages de romans français du XVIIIème siècle (Jacques le fataliste et la tradition du dialogue entre le savant et l’ignorant) se prénomment Didebert et d’Alemrot (!). L’un porte un chapeau melon et semble être le plus savant des deux. C’est lui qui mène ici la discussion, et qui cherche à faire parvenir son interlocuteur à la connaissance. L’autre, coiffé d’une casquette, est un personnage plus terre à terre qui fait toujours preuve d’un bon sens commun.
La démonstration porte ici sur l’étude des « mécanismes de l’évolution à partir des vieux Mickeys » à partir des collections du « Muséum d’Histoire Naturelle du Mickey ». Le ton est donné : une démonstration scientifique des plus sérieuses sur un sujet qui ne l’est pas.
L’auteur fait ici évoluer sa démonstration en alternant des images de son sujet d’étude (les trois cases du haut, présentant trois étapes de l’évolution du Mickey, et la grande case du bas) avec des images de ses deux protagonistes en pleine discussion (la grande case centrale). Cette mise en page simple et aérée laisse une grande place au texte qui est le support du raisonnement. Tout en se permettant quelques digressions amenées par le « naïf » des deux, cette démonstration avance de manière inéluctable tout au long de la page, en s’appuyant sur des documents scientifiques (des crânes de Mickey) pour arriver à cette conclusion brillante : « Mickey en vieillissant a rajeuni ».
On retrouve dans cette page ce qui fait l’originalité du dessin de Masse : une ambiance graphique qui rappelle la gravure et les illustrations de livres du XIXe siècle. Il recourt à des hachures serrées pour modeler et donner du volume à ses personnages, à l’exception des Mickeys qui sont dessinés à la manière de Disney. Le contraste du style fait ainsi ressortir l’incongruité de ce sujet d’étude. Le décalage est très fort entre les trois cases du haut occupées par les Mickeys très plats, et la case centrale. Pour camper ses paysages urbains, il utilise des photocopies de tableaux ou gravures anciennes : les façades des immeubles de la grande case centrale font penser à certains tableaux de la peinture italienne classique (Canaletto), ou à certains décors de théâtre. Masse construit ainsi une image à la perspective très soignée, soulignée par le quadrillage du sol, mais qui est en même temps décrochée de toute réalité. Ce type d’image, qui est le décor de toutes les histoires des Deux du Balcon, renforce la dimension absurde de ce récit. Elle est emblématique du jeu de collage et d’assemblage dont Francis Masse fait preuve à partir d’influences nombreuses et parfois inattendues, ainsi que de l’ambiance si particulière de toutes ses créations.