Le 9e art, entreprise de légitimation culturelle

Cette entreprise participe à une tentative de légitimation du champ de la bande dessinée, que le sociologue Luc Boltanski analyse dans un article de 1975, intitulé « La Constitution du champ de la bande dessinée ». Il y montre comment, dès les années 1960, la bande dessinée acquiert un nouveau public qui possède certains codes de la culture lettrée et intéresse des exégètes de disciplines intellectuelles. Ensemble, ceux-ci mettent en place un appareil de célébration grâce à la publication de revues, la création de sociétés savantes, de prix et d’événements.

C’est dans ce cadre que l’expression de « neuvième art » émerge, d’abord dans un article de Lettres et Médecins paru en 1964, puis repris la même année par Morris et Vankeer, dans une rubrique pour Spirou (cf. La bédéphilie dans les revues de bande dessinée). Cette double-page s’inscrit dans la lignée des pratiques bédéphiles de l’époque, mais dans les pages d’un illustré pour la jeunesse, donc en respectant également les pratiques professionnelles les plus courantes des dessinateurs.

Le plus souvent cependant, la distinction entre bandes dessinées « légitime » et « populaire » correspond à une démarche militante, qui cherche à construire la légitimité du moyen d’expression parfois en dépit des pratiques professionnelles du plus grand nombre des auteurs. L’exposition Bande dessinée et figuration narrative de 1967 en est un bon exemple. D’une part, elle prend place au sein d’une institution culturelle, le musée des Arts décoratifs, d’autre part, son titre indique que la clef de lecture privilégiée est celle de l’analyse littéraire et de la sémiologie. Elle annonce les pratiques discursives des années suivantes : dès la fin des années 1960, les bédéphiles intègrent cette analyse à leurs pratiques universitaires, tant dans leur enseignement que dans leurs publications, à l’instar de Pierre Couperie, Claude Moliterni et Francis Lacassin.