l’ascension du haut mal
Tome IV | planche 32 | 32,5 x 50 cm | encre de Chine sur papier | dépôt du FNAC
[janvier 2006]
Découpée en six albums, L’Ascension du Haut Mal conte l’histoire familiale de David B, fortement marquée par la maladie de son frère aîné. L’épilepsie de Jean-Christophe a entraîné la famille dans une recherche éperdue pour une hypothétique guérison. David B. raconte l’évolution de la maladie, les tentatives de ses parents allant de médecin en médecin pour trouver le meilleur traitement. La médecine classique se révélant impuissante, ils se tournent vers des médecines parallèles, de la psychothérapie familiale au séjour macrobiotique, en passant par le magnétisme ou la médecine orientale. La maladie enferme Jean-Christophe dans une sorte de prison intérieure. David B, dit Fafou, et sa sœur sont marqués eux aussi par cet enfermement. Ils sont solidaires de Jean-Christophe, rejeté par leurs camarades de jeu, et leur participation aux diverses expériences thérapeutiques contribue à les isoler du monde de l’enfance ordinaire. Fafou se réfugie dans un imaginaire puissant, peuplé de fantômes. Dans la bibliothèque de ses parents, il découvre l’ésotérisme, le fantastique avec la revue Planète et la collection « Marabout fantastique ». Dans le tome 4 de L’Ascension, il fait référence tout particulièrement au Jardin malade de Ghelderode et aux Derniers contes de Canterbury de Jean Ray. A ce dernier, il emprunte sa « trinité » avec les personnages de la Mort, de la Création (le chat) et du Mal (Chaucer) ; il en fait ses fantômes familiers qui l’accompagnent dans son jardin secret.
La planche présentée évoque une expérience de thérapie familiale avec un psychiatre. Chaque membre de la famille doit raconter ce qu’il ressent, mais la sœur et le père résistent, tout comme Fafou qui préfère se confier à ses fantômes secrets.
L’expression graphique de David B est toute entière marquée par cette relation à l’imaginaire, la souffrance, l’enfermement, la peur de la maladie. Il dit dans un entretien accordé à 9ème Art : « En tant que dessinateur, je les vois [les rêves] comme des images, ce qui atténue leur dimension éventuellement monstrueuse ... ».
Son expression graphique s’inspire de la conception médiévale de représentation de l’espace. Au Moyen Age, on est dans un monde absolu, avec la terre et le ciel, Dieu et les hommes ; l’espace n’a pas de perspective, elle viendra avec la Renaissance et la découverte d’autres mondes. Pour David B, cette représentation simplifiée, sans perspective, traduit bien la relation au monde qu’il vivait durant son enfance. Prisonnier consentant de ses rêves, de son imaginaire, il vit avec ses fantômes, avec lesquels il entretient un dialogue intérieur.
Dans la planche 32, il évoque tous ses ressentis. La première case occupe les deux tiers de la page. En fond, plusieurs squelettes flottent dans un espace indéfini pouvant faire supposer une multitude qui se déploie dans la nuit. Au premier plan sont alignés les trois personnages de la « Trinité », ses fantômes familiers. Il s’est figuré au second plan, s’exprimant avec véhémence. Chaque bulle contient les pensées qui se bousculent dans sa tête, mais qu’il préfère taire : son frère, la maladie qu’il a peur d’attraper, ses fantasmes guerriers, ses angoisses, sa lutte contre l’idée de la mort. Dans les trois cases du dessous, il représente le clan des résistants murés dans leur silence, chacun à leur façon.
Le graphisme simplifié de David B, avec des visages-masques très personnalisés, des aplats de noir profond et des lignes de blanc, des images sans décor de fond, offre une expression dramatique qui est le reflet de ses remous intérieurs. Son dessin – c’est sa grande force – traduit toutes ses émotions et sa difficulté d’être, bien au-delà des mots.
Gaby Scaon
Cet article est paru dans le numéro 12 de 9ème Art en janvier 2006.