la bd haiku
J’ai récemment animé un atelier de quatre jours avec les étudiants du Master de l’Ecole européenne supérieure de l’image, à Angoulême. Le sujet retenu était la création de bandes dessinées à partir de formes empruntées à la poésie, comme la sextine, la villanelle ou le sonnet. (Je me suis beaucoup occupé de cela dans mon travail personnel.)
Une forme de poésie avec laquelle je n’avais pas encore joué est le haiku. Sa brièveté, la relative simplicité de ses règles en font un sujet tout désigné pour une activité d’échauffement. Aussi, après avoir rappelé les règles traditionnelles et lu quelques exemples en français et en anglais, j’ai laissé les étudiants consacrer une bonne demi-heure à inventer et à esquisser des « BD haiku ».
Avant de commencer nous avions regardé quelques exemples de BD haiku déjà existantes, afin de voir comment cette forme a été adaptée à notre médium. L’un des éléments qui me semblent intéressants, c’est la structure en 5-7-5 syllabes, car on peut envisager différents moyens de la transposer en bande dessinée. Du point de vue de l’enseignant, ce fut la partie la plus productive de l’exercice : amener les étudiants à affronter les mécanismes subtils de la mise en page, de la taille des cases, de la composition, du rythme.
Voici deux BD haiku très différentes que j’ai trouvées en ligne. La première est de John Porcellino et l’on pourrait dire qu’elle évoque un haiku plutôt qu’elle ne l’adapte fidèlement. La taille des trois cases paraît se référer à la structure 5-7-5, et le texte, bien que ne respectant pas la règle syllabique, observe d’autres principes du haiku : le temps au présent, la référence à la nature, l’observation d’un moment suspendu. Un étudiant fit remarquer que la « méta-case » englobante semblait unifier la planche comme pour suggérer un seul instant cosmique.
L’exemple suivant est un webcomic de Mysh intitulé Imaginary Encounters (Rencontres imaginaires). Cet auteur utilise le haiku comme une structure de base pour des histoires autobiographiques en une page. Dans le cas présent, le texte est un haiku assez orthodoxe (même si le sujet, gay et rêveur, n’est pas traditionnel), mais la planche fait surtout écho à la composition en trois lignes, avec ses trois strips de même dimension. Une chose que j’apprécie particulièrement dans cet exemple, c’est le contrepoint ironique entre la phrase « mountain top », une référence plutôt classique à la nature, et l’image des deux amants regardant du haut de leur « montagne », le dernier étage d’un immeuble vitré. Une autre touche singulière, c’est de nous montrer que l’endroit où ils sont est complètement inondé.
Nous avons examiné d’autres façons d’adapter la structure syllabique, tout en étant d‘avis que l’approche de Porcellino en termes de strips réguliers fonctionne bien. En guise de contre-exemple, nous avons considéré qu’une bande dessinée en trois pages composées respectivement de 5, 7 et 5 cases donnerait un résultat trop long, peu compatible avec l’esprit du haiku. Chaque étudiant a été laissé libre de choisir quels aspects du haiku il souhaitait conserver et desquels il voulait se détacher.
Quand chacun eut terminé, nous avons affiché les résultats sur le mur (ou affiché sur l’écran : de plus en plus d’étudiants travaillent entièrement sur l’ordinateur) et nous les avons commentés.
Voici quelques exemples produits dans la classe.
J’ai fait quelques essais moi-même. Dans le premier j’ai essayé d’écrire un haiku traditionnel : écriture au présent, référence à la nature, à une saison, etc. (Il était facile de songer à la nature et aux saisons, en raison de ce printemps gris et pluvieux que nous avions en France). Mais je n’ai pu m’empêcher d’y introduire un élément de la culture populaire moderne, étant donné que je réalisais cette page à proximité de la statue de Corto Maltese, d’après Hugo Pratt, installée sur la passerelle qui enjambe la Charente.
Comme on peut le voir, j’ai proportionné les trois cases relativement à la structure en 5-7-5, coupant l’espace en trois zones que l’œil parcourt du haut en bas.
Pour ma deuxième planche, je l’ai vectorisée horizontalement, car cela semble un déplacement plus naturel au poète amateur de haikus, qui regarde le paysage autour de lui. Une particularité de cette école d’art est qu’elle est située sur une petite île au milieu de la Charente, de sorte que quand vous vous rendez, comme je le fis, à la machine à café, vous vous trouvez entouré d’eau de tous côtés. C’est une des expériences les plus inspirantes pour un haiku entre toutes celles qu’il vous est possible de vivre dans une petite ville. Je me suis dit qu’il serait intéressant de traduire le décompte syllabique en nombre de traits ; donc, dans cette seconde tentative, j’ai dessiné cinq lignes dans la première cases, sept dans la seconde et cinq dans la dernière. Je me tenais au milieu de la rivière, regardant tour à tour vers la gauche, devant moi et vers la droite.
Vous aurez remarqué que j’ai utilisé les mots left, center et right dans les trois lignes de texte [NdT : nous n’avons pu trouver d’équivalent français]. La grue évoquée ici est un engin de chantier qui se dresse actuellement au-dessus d’une future maison de l’étudiant en construction au bord de la rivière. Mais l’association avec l’oiseau est évidemment intentionnelle. Il est intéressant de noter que mon étudiante Lise a joué de la même association d’idées attachée au mot « grue » (cf. ci-avant) qui, en anglais comme en français, a les deux sens.
J’ai dessiné ces deux pages très vite, sans crayonné ni beaucoup de préparation, avec un stylo sur une feuille A4. J’avais en tête le fait qu’un haiku est conçu pour être lu d’une traite. Comment traduire cette idée en termes de dessin et de contemplation des images ?
Après avoir scanné les pages, je me suis dit que la deuxième fonctionnerait mieux avec une hauteur de case moins rigide, quelque chose de plus organique, de plus évocateur, une fois encore, de la structure du haiku :
J’encourage les enseignants à faire l’essai de cet exercice et à l’adapter à leur pédagogie. C’est rapide et ça ne demande pas beaucoup de préparatifs ni d’habileté graphique.
Matt Madden
(Traduit de l’anglais par Thierry Groensteen)