harry mickson : les vieux copains pleins de pépins
Planche 11 | 1988 | 41,1 x 32,5 cm | encre de chine, gouache blanche et collage sur papier | Inv. 92.15.1
[janvier 2008]
Harry Mickson fut le premier personnage de Florence Cestac, variation iconoclaste sur la figure du « miquet », privée des signes extérieurs de l’animalité (plus d’oreilles noires, plus de truffe, plus de queue) mais dotée du symbole ultime de la franchouillardise : le béret. Ce mutant génético-graphique vécut d’abord sur les pages de l’éphéméride de la librairie Futuropolis, puis sur celles des catalogues et sur les cartes de visite de la maison d’édition, avant d’accéder aux honneurs de la publication [1]. C’est sur lui que Florence Cestac fera ses premières gammes. D’abord image-logo, il accède ensuite à la forme brève : une demi-page, une page, puis une demi-douzaine. Son envol est progressif, l’auteur Cestac avançant pas à pas vers le métier d’auteur de bande dessinée, Harry Mickson lui ouvrant le chemin, en quelque sorte.
La planche qui nous occupe est extraite de la seule véritable « histoire classique » de Mickson, dans le sens où c’est la seule qui s’étende sur 44 pages racontées d’une traite. L’album est cartonné et les pages en couleur – des aquarelles probablement posées sur un support séparé puisque la planche dont nous disposons est en noir et blanc. Cette première « vraie » histoire sera également la dernière [2], Florence Cestac quittant Futuropolis quelques mois après la parution de l’album pour se lancer, chez Dargaud, dans l’autobiographie satirique qui lui apportera gloire et reconnaissance.
La couverture et le titre de l’album annoncent une histoire d’humour quotidien qu’on trouve dans le corps du récit, mais pas seulement puisque les Vieux Copains fraient également du côté du genre policier (on cherche un disparu) et même du fantastique sur la fin (il y a des savants fous et des plans démoniaques). Après tout, Harry ne s’appelle pas Dickson ... – pardon, Mickson ! – pour rien.
La planche 11 constitue la charnière du récit. Les dix pages précédentes ont consisté dans les retrouvailles entre Harry et Jean G. (qu’on aperçoit dans les cases 1, 7 et 9). Situation typiquement cestaquienne, ils ont évoqué le bon vieux temps des années lycée à la terrasse d’un café, passant en revue comme dans un prélude leurs anciens camarades devenus dans la suite du récit charcutier, chanteuse de variétés ou faiseur d’embrouilles...
La planche 11 reprend la grille de découpage de l’ensemble de l’album, un gaufrier de trois fois trois cases, et montre le héros enfermé dans une cabine téléphonique, négociant un rendez-vous avec le premier des contacts qu’il ambitionne de retrouver. Le texte, abondant, est plein de la verve langagière qui est une autre des marques de Florence Cestac, sans doute le seul auteur de bande dessinée francophone chez qui les personnages qui quittent un lieu se « font la cerise » et qui doivent « s’affoler le minou » quand il s’agit de se dépêcher.
Si l’on excepte la première et la dernière case, la page se déroule en quasi plan fixe, et Cestac joue avec brio du contraste entre l’immobilité du décor (les parois de la cabine) et la gesticulation incessante d’Harry Mickson, qu’on pourrait croire en latex, comme le fut jadis Gaston Lagaffe. Enfermé dans sa boîte, il remue, se tortille, prend la pause. On peut deviner les variations de la conversation en scrutant ses mimiques particulièrement expressives.
Ayant obtenu gain de cause, il sort de la cabine en ayant changé de statut. Avant cet enfermement quasi initiatique, il n’était qu’un badaud sans destin. Désormais, il est un héros qu’à son insu l’aventure appelle. On ne peut alors s’empêcher de penser à Clark Kent, qui autrefois ressortait des cabines téléphoniques transformé en Superman.
Et l’on se prend à rêver au destin manqué d’Harry Mickson, super-héros français.
Jean-Pierre Mercier
Cet article est paru dans le numéro 14 de 9ème Art en janvier 2008.
[1] Mickson alphabet, Futuropolis, 1979. Mickson#7, Futuropolis, 1980. Harry Mickson nettoie ses pinceaux, Futuropolis, 1982. Mickson et les Gaspards, Futuropolis, 1985. Les Vieux Copains pleins de pépins, Futuropolis, 1988.
[2] Si l’on excepte bien sûr La Véritable Histoire de Futuropolis, paru en 2007chez Dargaud, où Mickson joue, en compagnie de Florence Cestac elle-même, le rôle du narrateur.