Gaston Lagaffe, l’art de jouer avec la nourriture
[juin 2024]
On entend souvent, lorsqu’on est enfant, qu’« Il ne faut pas jouer avec la nourriture ». L’origine de cette maxime se perd dans le temps mais on imagine très bien sa raison : respecter la nourriture et le travail de ceux qui la préparent. Autrement dit, manger est une affaire sérieuse. Cette mentalité n’est sûrement pas étrangère au traitement de la nourriture dans les œuvres humoristiques franco-belges. Soit la nourriture n’est utilisée qu’en tant que contexte. Le repas est en effet un ressort souvent utilisé pour mettre en avant les personnalités et interactions des personnages : on pense alors au repas qui introduit l’histoire des Lauriers de César ou encore le petit déjeuner avec la grand-mère de Lou dans La Cabane. Soit, la nourriture est utilisée pour caractériser un personnage comique, tels que ceux décrit par Claude Fischler dans La symbolique du gros (Fischler, 1987, p. 255-278) : on peut songer à Hugo dans Titeuf ou Averell dans Lucky Luke. On constate alors que la nourriture entoure et contextualise la comédie dans l’humour franco-belge mais n’est pas le sujet central.
De l’autre côté de l’océan Atlantique, on trouve un autre type d’humour utilisant souvent la nourriture. L’humour slapstick, et ses célèbres « batailles de tarte à la crème », popularisé notamment par les comédies burlesques du cinéma américain de la première moitié du vingtième siècle, constitue une utilisation bien moins sage de la nourriture dans une intention comique. Cette tradition de jeter de la nourriture trouve ses racines dans la commedia dell’arte (Peacock, 2014). Le fait est que les comédies étasuniennes raffolent de cet humour enfantin et « sale » qui aura des difficultés à trouver ses marques en France et en Belgique. On retrouve, évidemment, cet humour dans la bande dessinée humoristique américaine comme dans Archie Comics ou encore Pim, Pam et Poum (The Katzenjammers Kids créés par Rudolph Dirks en 1897).
Cette dernière série était designée par Franquin comme sa lecture favorite (Sadoul, 1986). Si on peut considérer ce dernier comme un des auteurs les plus influents de la bande dessinée humoristique franco-belge de la deuxième moitié du vingtième siècle, il est indéniable que ses inspirations sont américaines. Quand, dans les entretiens qu’il a menés avec lui dans Et Franquin Créa Lagaffe, Numa Sadoul pose la question de ses influences, Franquin ne cite quasiment que des auteurs américains (Sadoul, 1986). Il participa ainsi à démocratiser en Europe le format du gag en une page, format américain peu présent dans la presse belge des années 50-60 et devenu depuis une convention. Mais il apporta aussi un humour et un style imprégné de Chic Young, Martin Branner ou encore E. C. Segar, se distinguant des sages bandes dessinées proposées par le reste de la production belge, encore marquée par une morale catholique. Un élément qui relève de cette empreinte burlesque, est son utilisation de la nourriture dans Gaston Lagaffe et qui confine dans ces pages au carnavalesque.
L’immense appétit de Gaston est un des gags les plus récurrents de la série Gaston Lagaffe. Il est présent dans quarante et un des gags numérotés de Franquin. Le rapport de Gaston à la nourriture est d’ailleurs le tout premier running gag de la série. En effet, les quatre premiers gags, à ce moment-là encore en format demi planche, sont centrés sur le fait que Gaston apporte une quantité énorme de noix au bureau (suivis par des marrons dans les gags 5 et 6). Ce gag des noix reviendra régulièrement au cours de Gaston Lagaffe, notamment avec la réplique « J’ai jamais vu une noix aussi dure », dans les gags 392, 539 et 540 avec une variante pour les gags 401 et 402 autour d’une noix de coco.
Ce ne sera pas le seul running gag traitant de la nourriture dans Gaston Lagaffe. La préparation des crêpes au bureau en est un autre (Sujet de six gags : les 351, 412, 582, 733, 755 et 756). Il faut aussi aborder la « Guerre des Conserves » de 1967, événement éditorial englobant les gags 474 à 477, quatre textes d’Yvan Delporte et la couverture du Spirou n°1536 et mettant en scène une guerre entre Gaston et Fantasio, ce dernier refusant que le moindre ouvre-boîte pénètre dans la rédaction pour empêcher le premier de passer son temps à manger de la nourriture en conserve sur ses heures de bureau. Le sujet de la nourriture a beaucoup inspiré Franquin, lui-même sujet à un grand appétit. Elle traverse toute son œuvre, de l’abondante cuisine du château de QRN sur Bretzelburg aux gags de Modeste et Pompon. C’est également une des thématiques les plus marquantes de Gaston Lagaffe.
André Franquin et Jidéhem, Gaston Lagaffe, "Le repas", gag n°44, Le Journal de Spirou n°1071 du 23 octobre 1958
Commençons par le gag 44. Septième gag à traiter de l’appétit de Gaston, c’est le premier à présenter une imagerie de nourriture abondante. Dans celui-ci, Fantasio demande à Gaston de lui commander un jus d’orange et de choisir ce qu’il veut pour lui. Gaston prend l’offre au pied de la lettre et se commande un véritable festin. Cette esthétique de la nourriture et du repas chez Franquin témoigne d’un imaginaire sensible et politique de l’auteur. Avec son sommeil, c’est une des caractéristiques de Gaston qui le classe dans les « bons vivants ». L’image réjouissante de Gaston, sortant la langue de plaisir – expression que l’on retrouve souvent comme aux gags 347, 438 et 724 – et débouchant une bouteille de champagne avant de manger un véritable festin, est caractéristique d’une vision positive d’un bon appétit.
En effet, la gourmandise de Gaston n’est jamais sujette à moquerie comme elle peut l’être avec Obélix ou Averell Dalton dans Lucky Luke. Elle n’est pas associée à des traits négatifs ou ridicules, comme la bêtise, mais plutôt à un élan de vie et à une vivacité d’esprit.
On retrouve l’image de la nourriture abondante dans le gag 348 où le bureau de Gaston est encombré par les ingrédients d’un « Chicken Soup au poisson ». Dans le gag 416, Gaston met la table pour un petit déjeuner en plein air, table débordant très vite de mets. Le point culminant est le gag 425 bis où Gaston doit préparer une soupe pour un camp de vacances d’étudiants dans une grande baignoire avec un moteur de bateau pour mixeur.
La manière de représenter la nourriture dévoile également un plaisir à la dessiner. Lors de la rencontre intitulée « "Miam" La nourriture en BD », organisée lors de la 52ème édition du Festival d’Angoulême le 27 janvier 2024, l’auteur Jul témoignait de ce plaisir. L’association des couleurs et des formes dans la cuisine, selon lui, lui confère une dimension profondément visuelle qui se prête, en retour, à la représentation. On peut constater que Franquin aime dessiner des formes et des textures singulières, notamment avec ses monstres et autres créatures hybrides. Le fait qu’il représente souvent de la nourriture en abondance a sûrement un lien avec le plaisir qu’il pouvait prendre à le faire.
Le gag 425 bis dévoile un autre aspect positif attaché aux repas : leur qualité de moment de partage et de sociabilité. Déjà dans le gag 416, Gaston prenait son petit déjeuner avec Fantasio. On le voyait aussi partager son repas avec un plombier dans le gag 347 où, Fantasio ayant confisqué tout le matériel de cuisine, Gaston pense à utiliser le chalumeau de l’ouvrier pour griller des saucisses. Cette dynamique sera reprise bien plus tard dans le gag 788 dans lequel Gaston prépare sa fameuse « morue aux fraises » pour deux ouvriers du bâtiment.
Là où les repas mis en scène dans un but comique s’amusent plus à jouer des tensions entre les personnages, les repas de Gaston rassemblent. Ce sont ceux qui s’y opposent ou refusent d’y participer qui sont source de tension. De fait, la nourriture ne permet pas à Gaston de créer des liens qu’avec des ouvriers. Outre les moments où il mange avec les autres employés de la rédaction, il réussit par deux fois à amadouer l’irascible Monsieur De Mesmaeker.
Dans le gag 410¸ Gaston prépare des frites avec des pickles qu’il distribue à toute la rédaction. Fantasio, d’abord surpris, se laisse prendre au jeu quand il voit que Monsieur De Mesmaeker lui-même s’est joint aux autres. Si l’issue de l’histoire est négative, on entraperçoit chez l’homme d’affaire une tolérance inhabituelle.
André Franquin et Jidéhem, Gaston Lagaffe, gag n°348, Le Journal de Spirou n°1407, 1er avril 1965
Mais le gag le plus marquant à ce sujet est le 348. Parmi l’un des premiers gags de Gaston Lagaffe en une planche complète, il raconte comment Fantasio, surpris par une visite de De Mesmaeker, ordonne à Gaston de jeter la soupe qu’il préparait et dont l’odeur avait envahi tout le bureau. Mais Fantasio se fait alors réprimander par l’homme d’affaires qui avait très envie de goûter à la soupe de Gaston et s’empresse de lui signer des contrats pour la commercialiser. Ce gag, impliquant De Mesmaeker, est d’une quiétude rare. L’ambiance posée par la première case montre un De Mesmaeker assis. Cela jure avec la vive détermination avec laquelle il fonce habituellement dans la rédaction. S’ensuit la colère contenue de Fantasio et la résignation calme de Gaston forcé de jeter sa soupe. Le seul coup d’éclat de la planche est celui du retournement de situation déclenché par la colère de l’homme d’affaires. Il l’étouffe rapidement dans un grommellement avant que le calme ne retombe pour la chute : De Mesmaeker signe des contrats à Gaston et Fantasio, déprimé, est condamné à préparer à nouveau la fameuse soupe.
On peut aisément comprendre comment le format de la planche entière a été investi par Franquin pour mettre en scène ce gag. D’une part le sujet inédit de montrer De Mesmaeker signer enfin des contrats valait bien la peine d’être mis en valeur. D’autre part, la place donnée par la planche permet de mettre en place l’ambiance de sérénité particulière à l’événement. Pour la première fois, le lecteur a l’impression que tout se passe bien, impression que Franquin ne fera qu’effleurer ensuite dans le gag 410, quand celui-ci présentait la chute classique avec un De Mesmaeker furieux refusant de signer les contrats. Il ressort de ces deux gags l’idée que la nourriture, en plus de réunir, est un outil de diplomatie qui apaise les tensions. Avec ces exemples, on pourrait avoir la sensation que Franquin ne représente que les aspects plaisants et positifs de l’appétit de Gaston. Mais bien souvent, la nourriture perturbe le travail.
Gaston est un expert pour perturber ses collaborateurs. Dans le gag 753, il monte abusivement le chauffage manquant de cuire les employés de Dupuis pour se faire griller un toast avec un radiateur du bureau. Dans le gag 438, il avale par mégarde une lettre urgente qu’on l’avait chargé de poster au plus vite. Ou encore, dans le gag 436, quand, appelant les pompiers par erreur la bouche pleine, ses interlocuteurs débarquent pensant qu’il s’étouffe. Dans ce dernier on peut d’ailleurs observer un Gaston profitant de son repas avec béatitude et non l’entrain que nous avions soulevé plus haut. Cette imagerie fait comprendre que son appétit vorace le coupe des autres.
André Franquin, Gaston Lagaffe, gag 724, Le Journal de Spirou n°1786, 6 juillet 1972
Mais une planche illustre le traitement double de la nourriture par Franquin, le gag 724. Il est intéressant car il met en tension les deux précédents points. Dans cette planche, Gaston veut profiter de l’absence de Prunelle pour partager des brochettes grillées au barbecue avec Lebrac et Jef Van Schrijfboek. Négligent, il salit la table de dessin de Lebrac et fait manger une gomme à Jef qui décident donc de repousser l’envahisseur à coups de brochettes. Cette planche trouve son intérêt dans sa manière de traduire l’opposition entre les trois personnages par leur positionnement dans les cases et dans la planche. Procédons au cas par cas.
Gaston, en tant personnage principal, accapare le plus de place dans la planche. En plus de lui donner une position centrale dans le récit, on comprend l’aspect envahissant de sa démarche même si elle est bien intentionnée. Dans la case d’exposition, il arrive tout juste dans le bureau et se trouve donc relégué tout à gauche. Il occupe ensuite toute la deuxième case, le « Hé » de Lebrac devant se frayer un chemin sans qu’on ne voie le personnage. Les troisième et quatrième replacent Gaston respectivement tout à gauche puis tout à droite de la planche. Il laisse la place centrale à Lebrac même si le fait qu’il se retrouve d’un coup tout à droite montre qu’il s’est enfoncé et s’installe dans le bureau. Il reprend le dessus dans la case suivante où il occupe encore une fois toute la case même textuellement puis dans la suivante il occupe la place centrale en laissant Lebrac en arrière-plan et en enfumant Jef. Il laisse la case suivante à Jef. Dans les deux dernières cases, il perd sa place étant, dans l’avant dernière, toujours au centre mais ayant rejoint Lebrac à l’arrière-plan et n’arrivant pas à prendre le contrôle textuel. Dans la dernière, Lebrac et Jef le poussent vers la gauche de la case. Même si visuellement ils l’éloignent de la porte, comme ils le forcent à retourner à la position qu’il occupait dans la première case, on comprend qu’ils tentent de le faire sortir et qu’ils ont repris le dessus sur lui.
Lebrac occupe quasiment toute la planche aussi en tant que principal opposant à Gaston et ce, dès la première case. Gaston arrive à gauche avec un air enjoué et des réjouissances plein les mains et Lebrac, lui, est tout à droite de la case avec un air concentré, occupé par un travail urgent. Il n’apparaît pas dans la deuxième case mais, comme dit plus haut, il réussit à entrer dans cette case textuellement. Il prend le dessus dans les troisièmes et quatrièmes cases. Le fait qu’il soit tout à gauche puis quasiment tout à droite le place au centre de la planche et donne l’impression qu’il a bondi d’une case à l’autre dynamiquement. Il prend alors le contrôle de l’espace et impose son rythme au récit. Malheureusement il n’arrivera pas à le garder, Gaston le reprend dès la case suivante, tandis que lui est relégué à l’arrière-plan dans la sixième case. Il revient dans la huitième case en restant à l’arrière-plan mais en compensant par le texte. Dans la dernière case, il rejoint Jef, qui avait le contrôle de l’espace depuis déjà deux planches, pour rejoindre une position dominante par rapport à Gaston.
Jef se fait plus discret jusqu’à la sixième case où il commence enfin à occuper une place dominante qui lui donne le contrôle du coin inférieur droit de la planche. Dans cette case, bien qu’il soit recouvert par la fumée du barbecue de Gaston, il se porte à l’attention du lecteur en remarquant une drôle d’odeur. La septième case l’oppose symétriquement au Gaston de la cinquième case, que ce soit dans ses actions ou sa position. Il rejoint ainsi symboliquement Lebrac dans le combat contre Gaston. Il domine l’espace de l’avant dernière case en étant en premier plan ce qui permet de souligner le fait qu’il est en train de manger une gomme et de garder le dessus. Dans la dernière case, il repousse Gaston avec Lebrac gardant ainsi le contrôle. Mais en dehors de sa construction maîtrisée, cette planche nous permet d’aborder une question cruciale : pourquoi est-ce si drôle que Gaston apporte de la nourriture au bureau ?
Dans son ouvrage De la souillure. Essai sur les notions de pollution et de tabou (1971), Mary Douglas définit la saleté comme un concept relatif, définit pour elle par ce qui n’est pas à sa place. Mais elle théorise surtout que ce concept relatif organise les sociétés, dans le sens où la lutte contre ce qui est considéré comme sale fonde l’expérience commune et aide à maintenir l’ordre établi. Ce qui amuse quand le personnage de Gaston « salit » son espace de travail, ou dans l’humour slapstick, ce n’est pas seulement l’aspect régressif mais aussi la remise en cause de l’ordre. Gaston s’est toujours opposé aux figures d’autorité, que ce soient ses supérieurs hiérarchiques comme Prunelle et Fantasio ou les forces de police tel l’agent Longtarin. Qu’il apporte de la nourriture au bureau ou qu’il dorme sur ses heures de travail, Gaston oppose une résistance passive au monde du travail qui impose un emploi du temps cadré et productif. On pourrait croire que Gaston risquerait alors d’être antipathique aux yeux du lecteur. Son comportement peut paraître égoïste et ce qu’il inflige à ses collègues franchement désagréable. Mais comme nous l’avons vu, la nourriture dans Gaston Lagaffe n’est pas que synonyme de perturbation mais aussi de partage et, plus que tout, de vie.
Dans le gag 724, quand Gaston propose de préparer des brochettes pour les partager, il apporte de la viande et des légumes, des éléments rattachés à la vie, dans le milieu morose et sec de l’entreprise. Il apporte de la « saleté ». Cette saleté n’est d’ailleurs considérée comme telle que par Lebrac quand il souligne que Gaston a fait tomber de la viande et des oignons sur sa table à dessin. Graphiquement, Franquin représente la nourriture de cette planche comme appétissante. Ce n’est que quand Gaston allume son barbecue, emplit la pièce de fumer et fait tomber du charbon que ses actions paraissent salissantes. Il brise ainsi l’équilibre, mais surtout l’ennui, associés à la bureaucratie. En opposant la première et la dernière case de la planche, on remarque qu’on passe d’un bureau silencieux et statique à une scène en mouvement, où Gaston et ses collègues portent des émotions fortes sur leurs visages rougis et où la viande et les légumes rebondissent de tous côtés. Ainsi, si les jeunes lecteurs et lectrices rient de l’aspect « sale » du comportement de Gaston avec la nourriture et les lecteurs plus âgés du plaisir de voir un espace de travail mis sens dessus-dessous, tous peuvent apprécier ce final débordant de vitalité et d’émotion. Cet aspect fédérateur de l’humour de Gaston Lagaffe centré sur la nourriture, s’il tire son inspiration de l’humour américain, renoue avec une tradition européenne, celle du carnavalesque.
La notion de carnavalesque, définie par Mikhaïl Bakhtine à partir des romans de Rabelais, renvoie au renversement temporaire des valeurs traditionnelles du calendrier liturgique courant, et instaure un moment de continuité entre les différents espaces et temporalités parfois contradictoires de la vie quotidienne (Bakhtine, 1965). Comme le rappelle André Belleau dans son essai Notre Rabelais (1991) au chapitre « La dimension carnavalesque du roman québécois », un des caractères fondamentaux du carnavalesque est le « rapprochement de ce que la vie quotidienne séparait ». L’utilisation humoristique de la nourriture dans le carnavalesque est proche de ce que l’on peut lire dans Gaston Lagaffe. En apportant sa nourriture au travail et en transformant son bureau en cuisine, Gaston renverse la hiérarchie de valeur propre au monde du travail. En cela, Franquin s’amuse de ces employés qui se prennent trop au sérieux alors qu’ils travaillent pour une publication pour enfant, majoritairement comique. Il s’oppose ainsi à une vision mortifère de ce qu’est une ambiance de travail saine et la vie en société.
« Il ne faut pas jouer avec la nourriture ». Si cette injonction est tenace, il a été, à plusieurs reprises, prouvé par des études en psychologie développementale que laisser un enfant manger avec les doigts et jouer avec sa nourriture lui permettait d’avoir un rapport plus sain avec l’alimentation. Développer un rapport plus ludique au monde est salutaire pour la santé mentale. Les règles de conduites que l’on doit suivre à table sont parmi les premières que l’on nous impose dans notre vie. Cette rigidité peut-être une source d’angoisse et de mal-être. En utilisant le personnage de Gaston pour briser ces règles, Franquin délivre le lecteur.
Les tous premiers gags de Gaston Lagaffe tournaient autour de la nourriture. C’est en somme la première règle sur laquelle Franquin nous fait prendre du recul par l’attitude carnavalesque de son personnage. D’autres suivront dans l’œuvre comme celles qui dictent de ne pas s’amuser dans un bureau, de respecter l’autorité sans poser de questions ou encore de s’imposer un rythme de vie allant à l’encontre de nos besoins naturels. Toutes ces remises en causes ont comme point de départ intellectuel que la nourriture, comme beaucoup de choses, n’est pas une affaire si sérieuse.
Bibliographie
Gags de Gaston Lagaffe cités (par ordre chronologique)
André Franquin avec Jidéhem
Gag 44 [Le repas], publié dans Le Journal de Spirou n° 1071 du 23/10/1958
Gag 347 [Le plombier], publié dans Le Journal de Spirou n° 1406 du 25/03/1965
Gag 348 [Le chicken soup], publié dans Le Journal de Spirou n° 1407 du 01/04/1965
Gag 351 [La pâte à crêpes], publié dans Le Journal de Spirou n° 1410 du 22/04/1965
Gag 392 [Série noix], publié dans Le Journal de Spirou n° 1451 du 03/02/1966
Gag 401 [Série noix de coco], publié dans Le Journal de Spirou n° 1460 du 07/04/1966
Gag 402 [Série noix de coco], publié dans Le Journal de Spirou n° 1461 du 14/04/1966
Gag 410 [Les frites], publié dans Le Journal de Spirou n° 1469 du 09/06/1966
Gag 412 [Série crêpes], publié dans Le Journal de Spirou n° 1471 du 23/06/1966
Gag 416 [Le pique-nique et la table pliante], publié dans Le Journal de Spirou n° 1475 du 21/07/1966
Gag 425 bis [Soupe géante pour camp de vacances], publié dans Le Journal de Spirou n° 1482 Bis du 08/09/1966
Gag 438 [Série crêpes], publié dans Le Journal de Spirou n° 1497 du 22/12/1966
André Franquin
Gags 474, 475, 476, 477 [La guerre des conserves], publiés dans Le Journal de Spirou du n° 1533 au numéro 1535 du 31/08/1967 au 14/09/1967
Gag 539 [Série noix], publié dans Le Journal de Spirou n° 1598 du 28/11/1968
Gag 540 [Série noix], publié dans Le Journal de Spirou n° 1599 du 05/12/1968
Gag 582 [Série crêpes], publié dans Le Journal de Spirou n° 1641 du 25/09/1969
Gag 724 [Le barbecue], publié dans Le Journal de Spirou n° 1786 du 06/07/1972
Gag 733 [Série crêpes], publié dans Le Journal de Spirou n° 1795 du 07/09/1972
Gag 753 [Le chauffage et les toasts], publié dans Le Journal de Spirou n° 1816 du 01/02/1973
Gag 755 [Série crêpes], publié dans Le Journal de Spirou n° 1818 du 15/02/1973
Gag 756 [Série crêpes], publié dans Le Journal de Spirou n° 1819 du 22/02/1973
Gag 788 [La morue aux fraises avec les ouvriers], publié dans Le Journal de Spirou n° 1861 du 13/12/1973
Ouvrages cités
BAKHTINE, Mikhail, L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen-Âge et sous la Renaissance, Paris, Gallimard, Tel, 1965.
BELLEAU, André, Notre Rabelais, Les Editions du Boréal, 1991.
DOUGLAS, Mary. De la Souillure. Essai sur les notions de pollution et de tabou, Editions Maspero, 1971.
FISCHLER, Claude. « La symbolique du gros », dans Communications (46), 1987, p. 255-278.
FRANQUIN, André & SADOUL, Numa, Et Franquin Créa Lagaffe: Entretiens avec Numa Sadoul, Dargaud / Distri BD-Schlirf Book, Bruxelles, 1986.
PEACOCK, Louise. Slapstick and Comic Performance. Palgrave Macmillan. 2014.