Dossier - Bédéphilie
L'exposition itinérante « Vous avez dit bédéphilie ? » cherche à comprendre l’émergence de la bédéphilie ainsi que les pratiques qu’elle a engendrées. L’exposition en panneaux a été présentée à la Cité en mai 2024. Nous proposons ici une version transposée numériquement.
Comme la science-fiction ou le polar, la bande dessinée change de statut au cours des années 1960 et 1970 ; elle fait désormais l’objet d’expositions et d’analyses ; elle se dote de festivals, de discours critiques et de figures tutélaires ; elle pense aussi, non sans anxiété, ses ressemblances et ses différences avec le monde de l’art. Du festival d’Angoulême à la Japan Expo, des bibliothèques aux universités, ces transformations résonnent toujours aujourd’hui.
Cette exposition examine l’émergence de la culture bande dessinée dans toutes ses manifestations, depuis les grands jalons, comme l’exposition Bande dessinée et figuration narrative en 1967, jusqu’aux considérations les plus pratiques, comme les techniques de reproduction utilisées par les fanzines. Elle s’interroge aussi sur ce qui reste de cette bédéphilie, soixante ans après son apparition. Si les revues et les grandes voix de ses débuts se sont tues, la culture de la bande dessinée reste bien vivante, dans des formes perpétuellement renouvelées. Il n’y a sans doute pas tant de distance entre Giff-Wiff et le fan art ou le cosplay.
Strinati et l'âge d'or
Les premiers mouvements bédéphiles apparaissent quasi-simultanément en France et aux États-Unis dans la première moitié des années 1960. Dans les deux cas, on constate la présence dans leurs discours de références à un « âge d’or » du moyen d’expression dont ils entreprennent de faire la promotion.
Bande dessinée et figuration narrative
Initialement annoncée du 7 avril au 12 juin 1967, puis prolongée, l’exposition Bande dessinée et figuration narrative est présentée à Paris, au musée des Arts décoratifs.
Bédéphilie télévisuelle
La télévision des années 1960 relaie et amplifie la construction du regard bédéphile. L’émission de Francis Lacassin et Jean-Claude Romer « Les mille et un héros de la bande dessinée », diffusé par l’ORTF, est symptomatique à cet égard des partis pris de la première bédéphilie.
Structures et collectifs
En France, deux instances ont compté pour la création d’un mouvement bédéphile. Le Club de bandes dessinées (CBD) qui deviendra le Centre d’études des littératures d’expression graphique (CELEG), et la Société d’étude et de recherche des littératures dessinée (Socerlid).
Première génération de revues
Les premières revues de bédéphilie reflètent les activités et vicissitudes des premiers clubs de bédéphilie.
Les festivals, de Lucca à la Comic-Con
Dès les années 1960, l’apparition de festivals, espace-temps par excellence de la célébration culturelle collective, contribue à façonner la communauté des amateurs de bande dessinée.
Librairies
Un des éléments ayant directement participé à l’essor de la bédéphilie fut le développement des librairies spécialisées dans la seconde moitié des années soixante.
Collectionneurs
Dans les années 1960, les premiers cercles d’études sur la bande dessinée regroupent majoritairement un lectorat désireux de retrouver les « illustrés » de sa jeunesse. Un commerce nouveau apparaît alors, celui des journaux de bande dessinée ancienne, principalement alimenté par des librairies spécialisées.
Auteurs
Dans les années 1960 et 1970, les dessinateurs et dessinatrices de bande dessinée gardent une certaine distance avec les mouvements bédéphiles.
La bédéphilie dans les revues de bande dessinée
Si les revues spécialisées dans la réflexion sur la bande dessinée publient des planches de création, les revues de création proposent également des textes d’étude sur la bande dessinée.
Parcours d'une bédéphile
Les premiers groupes bédéphiles comptent essentiellement des hommes parmi leurs dirigeants et leurs adhérents, reflétant à la fois les rôles genrés de l’époque et la perception de la lecture de bande dessinée comme une activité masculine. Nicole Tercinet est la seule femme à prendre une part active aux activités du CBD quand celui-ci devient le CELEG.
Diapositives et rééditions
Les pratiques d’édition et de réédition des amateurs francophones rassemblées dans les diverses associations bédéphiles sont relativement connues. Pourtant, au sein de la bédéphilie francophone, la première forme de réédition passe par… la diapositive !
Imprimer les fanzines
Pour un « fanzineux » voulant publier son journal à la fin des années 1960 ou au début des années 1970, les systèmes d’impression étaient limités. Les photocopieuses, si courantes aujourd’hui, étaient alors des engins rares dont les reproductions sur papier spécial vieillissaient vite et plutôt mal.
La cave de Bill Blackbeard, papier et micro-fiches
En 1968 à San Francisco, alors que le comix underground commence à s’immiscer dans les head shops – les boutiques pour hippies – de Haight-Ashbury, se fomente une autre révolution, moins provocante et transgressive : Bill Blackbeard, fan de science-fiction et grand amateur des bandes dessinées de presse, dépose les statuts d’une association nommée « San Francisco Academy of Comic Art ».
Seconde génération de revues
Après les publications pionnières arrive une seconde vague de revues qui adoptent progressivement l’angle de la monographie tout en internationalisant leurs études.
Paul et le Dr. Wertham : les lecteurs au créneau
La maison d’édition américaine EC est connue pour avoir publié les plus belles bandes dessinées d’horreur des années 1950 (Tales from the Crypt, Crime Suspenstories, etc.) ainsi que le magazine MAD. Elle est aussi en première ligne lors de la panique morale qui vise la bande dessinée américaine en 1954, embarquant avec elle un des premiers réseaux constitués de fans de bande dessinée.
D'Alter Ego au Comics Journal
Si des tentatives isolées et brèves de fanzines consacrés aux comics ont existé aux États-Unis des années 1930 aux années 1950, c’est au cours des années 1960‑1970 que le fanzinat moderne s’est constitué, et avec lui les bases de la presse professionnelle spécialisée ultérieure.
Bédéphilie au Japon
En 1967, la revue COM, autoproclamé « magazine spécialisé pour l’élite du manga » lancée par Osamu Tezuka pour capitaliser sur l’émergence d’un lectorat adulte de bandes dessinées, ouvre des rubriques consacrées à la critique et à la publication amateur.
Bédéphilie en Grande-Bretagne
Le fandom de bande dessinée est né dans la Grande-Bretagne de l'après-guerre, grâce à un intérêt partagé au sein de la communauté des auteurs de science-fiction, relayé par les correspondances entre membres, par la création de clubs, la publication de fanzines et l’organisation de conventions.
La bédéphilie à l'université
Après la constitution de clubs d’amateurs et l’organisation d’événements culturels tout au long des années 1960, la troisième étape du développement de la bédéphilie au tournant de la décennie suivante fut « l’entrée à l’université » de la bande dessinée.
Le 9e art, entreprise de légitimation culturelle
Le mouvement bédéphile cherche à distinguer une bande dessinée culturellement légitime, appréciée et analysée par des lecteurs adultes et érudits, de tout le reste de la production, publiée dans les illustrés pour enfants ou dans les journaux destinés à un large public.
Futuropolis et les rééditions patrimoniales
Dès leurs débuts dans l’édition, en 1974, les patrons de Futuropolis Étienne Robial et Florence Cestac œuvrent à la constitution d’un patrimoine de la bande dessinée.
L'investissement des pouvoirs publics
Les expositions de 1965, 10 millions d’images et de 1967, Bande dessinée et figuration narrative, initiées par les associations bédéphiles font entrer la BD dans la culture légitime, mais ce sont bien des initiatives locales telles que le festival d’Angoulême, soutenu par des fonds publics, et les mesures nationales qui font du neuvième art une exception culturelle française.
Bédéphilie et fans : différences et résonances contemporaines
Le mot « fan » est employé en France dès la fin des années 1950 pour la musique populaire, et dès les années 1960 pour la bande dessinée, même si le terme s’embarrasse à l’époque d’italique ou de guillemets prudents.
De Norbert Moutier aux fan comics
La plupart des bédéphiles historiques n’ont jamais cherché à produire eux-mêmes des bandes dessinées. Ceux qui l’ont fait ont le plus souvent opté pour le rôle de scénariste, extension naturelle de la critique : les créateurs ouvertement bédéphiles abondent, mais les bédéphiles dessinateurs sont ainsi longtemps restés marginaux, ou invisibles.
Le fanzinat bédéphile aujourd'hui
Dans les années 1990, le fanzinat bédéphile, orienté vers la critique, a largement reculé pour laisser place au fanzinat de création.
Les bases de données et la bédéphilie
L’accès massif à Internet à partir du début du 21e siècle a transformé les pratiques bédéphiliques en permettant notamment la mise en commun de gigantesques bases de données, collaboratives ou institutionnelles.
Commissaires
Ferreyrolle Catherine, Gabilliet Jean-Paul, Labarre Nicolas, Pillu Matéo
Commissaires
Pour aller plus loin
Entretiens bédéphiles