docteur gaudéamus
Luis Garcia-Gallo, dit Coq : Docteur Gaudéamus, planche 115 | scénario, non signé, attribué à Marcel Dassault | encre de Chine et lavis d’encre bleue | 35,6 x 29,9 cm | paru dans Jours de France vers 1958 | Inv. 001.4.62
[Septembre 2015]
Luis Garcia Gallo, dit Coq, n’a jamais fait partie des auteurs majeurs reconnus par les encyclopédies de la bande dessinée. Son travail ne manque pourtant pas d’intérêt, mais Coq s’est toujours tenu à l’écart des grands journaux spécialisés de la presse jeunesse. En revanch,e on a longtemps pu le trouver dans Jours de France, un magazine hebdomadaire féminin dirigé par l’entrepreneur Marcel Dassault. C’est la ménagère qui faisait office de cœur de cible, justifiant le soin apporté ici à la mode et au thème des vedettes. Avant Pilote, Hara-kiri ou Barbarella, le travail de Coq atteste l’existence d’une bande dessinée populaire pour adultes en France, se confrontant déjà à la modernité.
D’emblée, cette planche semble relever de deux traditions différentes, toutes deux ancrées dans une histoire lointaine du neuvième art. Le premier strip s’appuie sur des cartouches bavards, dont la disposition inférieure rappelle les textes des images d’Épinal. Même si les mots et les dessins apportent des informations différentes, les premiers ont clairement la priorité, y compris pour guider la lecture d’une vignette à l’autre grâce aux points de suspension, ne laissant à l’œil que quelques secondes pour dévier par l’image. Cette prééminence du texte donne encore lieu à un long monologue de Pancho Lérez dans le deuxième strip, alors que le docteur Gaudéamus lui-même, pourtant héros de la série, ne prononce pas un mot et n’a pas l’air de participer à l’action. La légende attribue à Dassault lui-même les premiers scénarios de Gaudéamus, avant que Goscinny ne la reprenne en 1960 : on peut imaginer que l’avionneur, peu aguerri en matière de bande dessinée, pensait en texte plus qu’en image.
Mais la situation change du tout au tout dans la seconde moitié de la planche. Au contraire, deux vignettes sont muettes, et Gaudéamus prend sa revanche dans un amusant récit graphique qui pourrait bien se passer de bulle : une rencontre royale par balle de golf interposée. Le texte s’y inscrit comme un objet non seulement visible, mais sensible, loin de toute abstraction. Absence de cadre, plan fixe, mouvement latéral pour suivre la balle, c’est le trajet de l’œil, plus que l’oreille, qui est restitué. C’est désormais un autre classicisme qui apparaît, loin des imageries d’Épinal : il s’agit plutôt de la tradition des histoires sans parole, parues dans la presse satirique du dix-neuvième siècle et perpétuée dans les strips quotidiens.
Coq s’inscrit clairement comme un dessinateur de presse. Par son trait réduit au plus simple, il rappelle les illustrations de Sempé, mâtinées d’une école internationale. Ce trait fera florès en bande dessinée dans la lignée de Cabu ou de Reiser, mais en 1958 il ne court pas la presse jeunesse. La bichromie permet d’accentuer encore la tendance à l’efficacité du dessin. Coq pourtant s’attarde sur des détails évocateurs, notamment le pittoresque de l’Europe centrale, traduit par une diligence dont le cheval et le cocher portent le même chapeau. On appréciera aussi le soin apporté à la reine de l’avant-dernière vignette, robe tirée par le vent et bras en position pour tirer.
En dépit de ces racines multiples, Coq prouve sa maîtrise des techniques narratives propres à la bande dessinée. Il finit sa séquence sur un gros plan servant tout à la fois de gag inattendu et d’accroche feuilletonesque en vue de faire patienter le lecteur une semaine. Que ce gros plan soit le seul à être intégralement encadré lui confère un statut particulier, ponctuant la phrase à la manière d’une virgule. Le reste de la planche se remarque par l’absence de cadres verticaux : le récit peut ainsi se lire comme une succession de strips linéaires, facilitant le passage de la gauche à la droite en suivant personnages, avion et balle de golf.
Alliant modernité et tradition, feuilleton et dessin d’humour, Coq dialogue avec son temps.
Clément Lemoine