dans l’atelier de... guillaume trouillard
Tu es en résidence à Angoulême, c’est une ville que tu connais bien, où tu as fait l’École des Beaux-Arts... C’est là que tu as lancé la revue Clafoutis ?
Exactement, de 1998 à 2003, on était une petite bande de copains à s’être formés ensemble, à avoir développé des références communes. On a fait une exposition commune pendant le festival, au théâtre, encore étudiants, avec un collectif nommé les Six Berbères sont douze. C’est un jeu de mots un peu pourri, c’étaient les débuts d’internet, on s’amusait avec des sites, les débuts de la programmation flash, les débuts du site Coconino World… Il y avait Samuel Stento, Thomas Gosselin, Charles Razack… On organise des expositions, on fait des sérigraphies, on vend des tirages. Par la suite les choses retombent un peu, l’inertie de groupe, je tente de motiver les autres mais ça ne prend pas vraiment et sentant qu’on va tous repartir dans nos régions respectives, alors que je suis en quatrième année à l’EESI, je décide de monter ma propre maison d’édition.
Au départ ce n’est pas tant une maison d’édition que l’idée de faire une revue, Clafoutis, pour montrer tout ce qu’on avait emmagasiné durant des années. Car il y avait une vraie cohérence, un côté un peu baroque, un goût d’un dessin élaboré, de la couleur directe. Dans l’idée que j’avais, Clafoutis, c’était une manière de dire aux copains « Bon on est venu ici pour la BD, on veut faire ce métier, mais on peut se permettre des digressions ». Donc dans les premiers Clafoutis tu trouves des photos, de la poésie, du design graphique. C’est vraiment la continuité de ce qu’on avait fait durant les quatre ans ici. On avait créé des sites, fait de l’animation, de l’illustration…
Pourtant quand on prend ces numéros, on a tout de même l’impression d’une vraie cohérence.
Oui, parce qu ’on est d’abord une bande de potes ! On aimait travailler ensemble. Je suis arrivé à 17 ans, j’ai tout appris ici. Thomas et Charles étaient avec moi à la résidence universitaire, on était toujours fourrés ensemble, Samuel était notre aîné de deux ans et lui nous a vachement nourris. Donc après tout ça, au moment de quitter les études ça m’a semblé logique d’aller monter une structure, ce doit être mon tempérament.
C’est vrai qu’on aurait pu aller taper à la porte d’autres éditeurs, j’avais un projet avec Thomas à l’époque, une histoire de piraterie dont le début a été publié dans les premiers Clafoutis, le scénario est encore au chaud d’ailleurs. Mais plutôt que de taper aux portes pour tenter de placer des projets un peu particuliers, j’ai trouvé plus naturel de créer une structure pour les accueillir.
Pour une jeune maison d’édition la Cerise est quand même assez étonnante : les livres sont très soignés, tout en couleurs, parfois cartonnés, la reproduction est fine, pour des premiers livres il y a un niveau d’exigence, mais aussi un coût de fabrication qui dénote pour une jeune structure. Vous étiez si sûr de vous ?
(Rires) Tu parles, je suis parti là-dedans sans aucune connaissance de l’édition, complètement à l’arrache, je ne savais même pas ce qu’était un diffuseur… J’avais juste un plan pour pouvoir exposer durant le festival, une salle difficilement accessible en haut de la mairie. C’est dire que j’y croyais ! J’ai compris qu’il fallait prendre un stand au bout de quoi, six, sept ans ?
Au fond, le choix dont tu parles a été un peu imposé par nos travaux. Assez naturellement ça a été « un livre par an, cher » plutôt que « quatre livres par an, pas cher ». Le premier Clafoutis coûtait 24 € avec un rhodoïd collé manuellement à l’intérieur, une histoire qui se répète quatre fois dedans… On va dire que c’est l’insouciance de la jeunesse.
Claire Latxague [1] : Peux-tu parler d’un livre dans ton catalogue qui aurait compté pour toi dans ton approfondissement du métier ?
Comme ça, je dirai La fille maudite du capitaine pirate de Jeremy Bastian, c’était la première fois qu’on faisait un achat de droits, avec une concurrence d’autres éditeurs. Il a fallu se battre un peu pour l’avoir. C’était aussi notre tirage le plus important à l’époque.
Et même si techniquement le livre paraît assez simple, il a fallu faire un gros travail de nettoyage et de restauration à partir de fichiers pas terribles, et j’ai pris deux mois pleins pour réaliser le lettrage à la main en imitant son écriture, avec beaucoup de textes inscrits dans le dessin, comme des passages gravés dans le bois, brodés sur un drapeau… Le façonnage a aussi été délicat avec un papier de couverture pas fait pour le rembordage [2]. C’est un travail assez peu gratifiant mais à la fin l’auteur est content et toi tu es heureux d’avoir fait du mieux que tu pouvais.
Pour toutes ces raisons ce livre a été important, il a été immédiatement porté par les libraires et derrière Jeremy nous a fait totalement confiance pour la suite. A posteriori je me rends compte que ce travail sur le lettrage nous prémunit aussi d’un rachat de droits, ce qui offre une certaine sérénité, finalement.
Pour revenir à ton travail, dont la grande majorité est publiée à la Cerise, on constate que dans beaucoup d’albums tu vas vers le muet. Tu travailles pourtant avec des gens comme Alex Chauvel ou Thomas Gosselin, qui sont plutôt bavards. Ce décalage m’a frappé.
Peut-être que le fait d’être entouré par des personnes qui écrivent bien m’a fait délaisser l’écriture. D’ailleurs il faudrait aussi citer mon frère Antoine avec qui j’ai beaucoup collaboré dans Clafoutis et qui est le relecteur final de tous les textes de la Cerise. Mais au-delà de ça j’ai toujours été attiré par le muet, j’en faisais déjà aux Beaux-Arts, j’en ai pas mal publié aussi comme éditeur. J’ai l’impression qu’en tant que dessinateur c’est un peu la quintessence de la bande dessinée, tu ne te reposes sur aucun texte et te fais des nœuds pas possibles sur des questions de narration, c’est vraiment intéressant. Quand j’étais étudiant à la fin des années 90 j’ai l’impression qu’il y avait un peu plus de BD muettes, que c’était plus florissant. C’est un peu retombé, je crois, il faut dire que ça se vend moins bien.
Bien sûr, cela ne m’empêche pas d’apprécier le texte, d’ailleurs à la Cerise on peut publier de la poésie chinoise ancienne ou des romans illustrés. Mais c’est vrai que dans ma pratique personnelle de la bande dessinée, c’est comme si j’avais décidé de laisser la partie texte aux copains.
C’est vrai que tu as un dessin assez atypique dans le paysage : très réaliste, presque académique, mais ton propos ne l’est pas. C’est un choix très marqué, dont les influences viennent d’autre part que la bande dessinée.
Je suis vraiment le produit d’une certaine époque, marqué par des livres sortis en couleurs directes — De Crécy, Schalken, La Révolte d’Hop-Frog de Blain et David B. — et par tout ce que j’ai ingurgité ailleurs. Par exemple, j’ai eu envie de m’amuser à partir des codes de la miniature persane sur « Un trésor » (il y en aura dans le prochain Clafoutis) ou bien à partir de la peinture chinoise en rouleaux avec mon dernier livre. On publie aussi de la peinture chinoise. À la fin, c’est assez cohérent.
J’adore papillonner, mais je constate qu’entre la bande dessinée, les spectacles dessinés, un livre politique, le public se croise finalement très peu. Peut-être que le dernier fera venir des lecteurs de BD vers nos livres de poésie.
Parlons de ce livre, Les Quatre détours de Song Jiang, scénarisé par Alex Chauvel et quasiment façonné entièrement à la main et qui se rapproche des récits en rouleaux.
À l’heure où l’on se parle il y a d’ailleurs une session de façonnage, on réunit les copains, c’est plutôt une bonne ambiance, mais c’est pour ça que la fabrication est lente. Forcément entre deux tirages il faut le temps de caler une date, qu’on s’y mette tous. Mais j’aime bien ce côté manufacturé, artisanal, le moment où la main devient plus habile sur la tâche, à force d’entraînement. Un peu comme en dessin finalement.
Sur ce livre on a dû s’y prendre plus en avance, car comme on refuse d’imprimer en Chine (et le scénariste encore moins) on a travaillé avec notre imprimeur local qui a passé beaucoup de temps à échafauder le projet avec nous. En étudiant le devis avec lui on a vu comment faire tomber les postes les plus coûteux en les réalisant nous-mêmes pour que le livre puisse être à un tarif acceptable. En gros c’est tout ce qui n’est pas mécanisable. Bon, malgré toutes ces précautions il a quand même un coût de revient de 16 € et donc en librairie on perd de l’argent. Mais c’est important qu’il existe et ça s’équilibre à côté sur les ventes directes. C’est avec des projets comme ça que je me récompense de tout ce boulot d’édition bénévole.
J’ai rencontré Alex Chauvel lors d’une masterclass à l’EESI, où il était étudiant. Dans la foulée, ils ont lancé les éditions Polystyrène, dont le questionnement est centré sur l’influence de l’objet livre sur le récit, je suis un peu comme leur parrain. En tous cas avec Alex on a des références communes, un goût d’aller voir ce qui se fait ailleurs, et je savais qu’il aimait aussi bien les cultures anciennes que le jeu scénaristique. J’avais cette idée de BD inspirée des rouleaux chinois et de la philosophie taoïste, je lui ai donc demandé de mettre ça en mots.
Ton travail repose presque toujours sur la couleur directe (ou le lavis), tu travailles sur des calques séparés, tu retouches ensuite à l’ordinateur ?
Pas du tout, c’est vraiment à l’ancienne donc si ça rate, il faut redessiner. Après il m’arrive de découper, coller, mais c’est avec des ciseaux et de la colle.
Sur Aquaviva, le projet sur lequel je travaille dans cette résidence, j’ai le scenario en tête depuis les Beaux-Arts. Évidemment, avec du muet, ça tient sur trois pages et ça laisse une marge d’interprétation. Ça fait onze ans que j’ai commencé à le dessiner et au final j’ai coupé près d’un tiers. C’est beaucoup de retours en arrière, de temps perdu, c’est la première fois que ça m’arrive. D’ordinaire c’est plus simple, mais là comme ça traîne, ça évolue avec moi, donc je reviens sur des choses. Je fais le story-board au compte-goutte, en fonction de ce que la pratique m’impose. Donc je suis sans cesse en train d’adapter la suite par rapport à cette réalité nouvelle.
C’est intéressant de savoir que le scénario vient d’aussi loin, car quand on le lit ça résonne beaucoup avec des sujets contemporains, c’est une sorte de récit post-apocalyptique, qui entre en écho avec la hantise actuelle de l’effondrement, thème complètement absent dans le premier volume.
Je t’avoue que je redoute un peu, en mettant autant de temps à l’accoucher, qu’on me dise, le jour où le livre sort enfin, que c’est dans l’air du temps, alors que je le traîne depuis des années. Je suis content d’avoir publié les fascicules au fil de la création pour ça, au moins. Mais j’ai surtout envie de le terminer pour attaquer un autre récit de science-fiction que j’ai en tête depuis dix ans.
Tout ça pour dire que ça me pèse un peu d’avoir ces récits en retard, à cause de ce travail d’édition important, et ce dessin aussi qui demande quand même beaucoup d’investissement et qui n’est pas rapide à produire. Et là c’est vraiment ça, le temps que ce projet avance, il n’y a pas un mois sans qu’il y ait un livre post-apo. Il faut dire que vu la direction prise par le monde c’est assez logique.
Le graphisme permet de te distinguer tout de même, notamment cette part du collage dans ton œuvre, qu’on avait déjà pu voir dans Welcome (2013).
L’idée d’Aquaviva c’est quoi ? Montrer un monde sans nature où l’expansion humaine est arrivée au bout, et le donner à voir. C’est vraiment ça l’impulsion originelle. Mais le principe des collages est aussi à l’origine du projet. Étudiant, j’étais fasciné, et je le suis toujours, par l’œuvre de Breccia, qui va chercher de l’abstraction dans ces décors, importer de la matière. Je m’en suis inspiré pour créer des décors à base de typographies découpées, de photocopies déchirées ou de papiers préparés. L’autre influence c’était Akira, et la manière dont Ōtomo réussissait à faire courir la narration.
Depuis le début je cherche à rester lisible, avec de l’action pure, sans qu’il y ait de confusion. Ce n’est pas évident avec un dessin réaliste d’être limpide dans une narration muette, car tu ne peux pas t’aider de la possibilité expressive d’une stylisation. Si tu vises l’économie d’effets, sans expressions exacerbées, c’est un vrai casse-tête, et c’est là que tu comprends le tiers coupé dans mes pages.
Claire Latxague : tu fais partie des expérimentateurs, qui varient les pratiques et les supports. Avec ton approche qui va vers plus de profondeur dans la connaissance des matériaux, t’arrive-t-il encore d’être intimidé par des questions techniques ?
Ce n’est pas une question simple, mais clairement je sais qu’aujourd’hui, maintenant que je suis lancé, il y a des choses que je ne ferai jamais. Je n’ai pas le temps ni la force d’apprendre la peinture à l’huile par exemple, ou le pastel gras.
Pour ça, je suis content d’avoir fait les Beaux-Arts, où tu peux vraiment expérimenter. La revue Clafoutis était pensée pour ça aussi, pour tester des techniques sans pression.
Plus tard, quand on a commencé à faire La Saison des flèches avec Samuel Stento, on se disait presque naturellement « ici on va imiter un vieux livre avec de la trame », « là on va faire un prospectus publicitaire », la technique découlait du récit. Par exemple, le point de vue du père indien, a été amené par une peinture rupestre dans la salle de bain, j’ai donc fait deux pages dans ce style. Mais ce n’était pas pour faire les mariolles, c’était une vraie question d’efficacité. On économisait des pages de narration classique par ces trouvailles.
Tu empruntes énormément, à différentes traditions graphiques, mets beaucoup en scène d’autres peuples, notamment autochtones (les Amérindiens, les Papous dans Aquaviva…), au risque de l’exotisation. Comment fais-tu pour l’éviter ?
Honnêtement je ne sais pas trop quoi répondre. Il y a des lectures qui m’ont marqué très jeune, comme Pierre Clastres et son essai La Société contre l’état (1974) qui a vraiment été déterminant, et précède Colibri (2007), mon premier livre. De la même façon, Les Quatre détours de Song Jiang s’est accompagné de la lecture d’écrits anarchistes taoïstes. C’est quand même un sacré privilège que de pouvoir laisser infuser ses lectures et les exprimer dans son travail. Et quand tu es éditeur et qu’une cohérence apparaît parce que ça côtoie des poèmes de la dynastie Song (Quand mon âme vagabonde en ces anciens royaumes, de Dai Dunbang, 2018), c’est encore plus chouette.
Tu parlais de travaux épars, communiquant parfois mal entre eux, si ton travail comporte toujours une dimension politique il y a un livre clairement engagé dans ta bibliographie, peut-être mal connu des amateurs de BD : On achève bien les éleveurs, un livre d’Aude Vidal (L’Échappé, 2017). Là tu es illustrateur, ça semble très différent des autres collaborations où tu allais chercher un scénariste pour mettre en images.
Et pourtant c’est un peu la même chose. Aude est aussi une très vieille copine. On se connaît de nos années militantes il y a une quinzaine d’années, et elle avait lancé une revue politique, L’An 02, qui a duré 4 ans (2012-2015). Je participais à la partie graphique de la revue, qui mêlait sujet d’écologie politique, féminisme et un attrait pour le dessin et la bande dessinée.
Quand La Revue dessinée (2013) s’est montée, ils m’ont contacté, j’ai eu plusieurs idées, je voulais faire un truc avec mon frère sur la dette grecque mais ça ne les a pas emballés. Ils ont finalement validé un projet de tour de France des éleveurs d’ovins-caprins qui refusaient à l’époque d’appliquer une loi sur le puçage électronique. Je m’étais intéressé à cela via des bouquins du collectif Marcuse et j’ai branché Aude dessus. Le récit paraît dans le numéro 9 (« La Foire aux bestiaux », avec Aude Vidal et Gabriel Blaise, septembre 2015) mais on a eu envie de l’étoffer et ça intéressait les éditions L’Échappée donc banco.
Welcome est un autre livre très particulier. Il fait penser aux imagiers pour enfants, tu le présentes comme un « inventaire pour un enfant qui vient de naître ». S’il y a une narration, ce n’est pourtant pas une bande dessinée, il procède de l’accumulation d’objets, page à page : vingt télévisions hyperréalistes, vingt bouteilles, abeilles, etc. C’est un geste particulier et assez radical, mais je suis très curieux de sa réception autour de toi.
Quand j’étais en train de le dessiner à l’atelier, les camarades pensaient que c’était un travail de commande : ils n’imaginaient pas que je puisse dessiner vingt fois des sujets aussi rébarbatifs pour un projet perso. Moi j’étais persuadé que ça produirait quelque chose d’intéressant sur la longueur, mais j’ai eu du mal à les convaincre.
Je suis plutôt content de ce livre, et c’est sans doute celui qui a eu les meilleurs retours de lecteurs et les plus belles chroniques. Et même si c’est un OVNI un peu cher, car on a imprimé en or et argent pour rendre les effets des papiers métalliques que j’utilisais pour le collage, il a eu une très belle vie sur ses premières années.
Et pour continuer dans les marges de la bande dessinée, tu t’investis également dans des spectacles...
Oui, ce sont des concerts dessinés, toujours avec mon frère Antoine, qui est musicien, on fait ça depuis une dizaine d’années. Il y a trois ans avec ma compagne qui est danseuse, on a postulé avec un projet danse-musique-dessin à une bourse de création du festival de Colomiers pour des projets mêlant la BD à d’autres pratiques. Ça s’appelle Aux champs d’honneur, c’est assez ambitieux, on est sept sur scène. Le dessin direct c’est quelque chose qui a un vrai intérêt pour moi. La maison d’édition me phagocyte un peu dans ma pratique du dessin, parfois je ne dessine plus pendant une année. Je me suis longtemps posé la question, de beaucoup d’auteurs-éditeurs, de si je n’avais pas fait une connerie en m’investissant comme ça dans l’édition au détriment de ma création. Bref, quand tu reprends après plusieurs mois d’arrêt, tu es un peu rouillé. Le dessin en live ramène une certaine immédiateté, ça vient me rappeler pourquoi je dessinais quand j’étais gamin. On ne revient pas en arrière, c’est assez libérateur. Et les retours directs aussi, ce n’est pas quatre ans plus tard, c’est assez agréable aussi.
Justement, la résidence que tu termines, croisée entre la Maison des Auteurs et la villa Médicis, est vraiment une résidence de création, qui veut donner le temps. Il n’y a pas de médiation ou autre, c’est fait pour se retrouver et avancer, tu as réussi à te donner ce temps ?
Depuis quelques années, je n’arrive à me consacrer à Aquaviva que quelques semaines par an, quand j’ai le temps, une page par-ci par-là, pour boucher un trou. Ce n’est pas facile à caser entre les projets d’édition, le dessin pour gagner ma vie, les enfants. À chaque fois, se remettre dedans est difficile, comme je l’expliquais tout à l’heure. Alors quand j’ai vu passer ce projet de résidence j’ai vraiment sauté sur l’occasion. Et là je n’ai fait que ça pendant deux mois, j’ai beaucoup avancé… même si ce n’est pas fini !
J’en avais presque peur, je le disais aux copains avant, j’ai tellement souffert sur ce livre, je le traîne depuis si longtemps, que je redoutais de tomber face à ce gouffre symbolique et de ne pas réussir à avancer une fois confronté à la planche. Mais finalement, ça ne s’est pas produit du tout, avec ce temps devant moi j’ai retrouvé du plaisir à ce projet. Pour moi ce sont sans doute mes plus belles planches. J’ai pu me poser tranquillement sur le découpage et j’ai commencé ensuite par la planche la plus facile à faire pour rester confort, et ça s’est dérouillé.
Entretien réalisé le 24 février 2022 à la maison des auteurs,
repris par courriel en avril 2022.
[1] Ces questions ont été communiquées à l’auteur à distance.
[2] Le rembordage est un mot tiré du vocabulaire de la fabrication du livre, il s’agit d’une technique de fabrication des couvertures de livres. Par contrecollage (assemblement par collages de différentes couches de papier pour obtenir une surface plus rigide), cela consiste à recouvrir le support cartonné de la couverture en en enveloppant le recto et la tranche, mais aussi le verso dans certains cas c’est-à-dire aussi les pages de garde, d’une surface assez épaisse (cuir, plastique, etc.)