dans la boutique d’un collectionneur de celluloïds de japanimation
[octobre 2022]
Stéphane Laurent, passionné, collectionneur et vendeur d’objets liés à l’univers des anime nous présente quelques-un de ses trésors, dans le restaurant qu’il a ouvert à Paris… Ce sont des objets liés à la série Candy Candy, issue de l’âge d’or de la japanimation télévisuelle et qui fut diffusée au Japon de 1976 à 1979 sur TV Asahi. Il conseille désormais certaines maisons de ventes aux enchères qui s’ouvrent au marché du celluloïds comme Heritage Auction.
Pouvez-vous nous présenter les objets que vous nous avez apportés ? Quel intérêt pour le collectionneur ou la collectionneuse d’avoir ce type d’objet comme les celluloïds ?
D’abord les celluloïds c’est le témoin direct de tous ces dessins animés qui ont bercé notre enfance dans les années 1970 et 1980. Donc, ceux qui ont 10 ou 20 ans ne peuvent pas connaître, mais ceux qui sont de cette génération ça leur parle directement, que ce soit en fAsie, en Europe, ou même aux Etats-Unis. Car les Japonais ont un art majeur qui est le graphisme, le manga, l’animation. Le mot manga a une double signification : il y a le manga en images fixes, c’est de la BD et le manga eiga en images animées. ga c’est l’image, elle peut être fixe ou animée. Et pour la mettre en animation il faut bien sûr des images fixes. Donc là c’est les premières images fixes dessinées et destinées à être animées. C’est autre chose que les dessins originaux de manga, qui pour autant ne manquent pas d’animation.
Quels sont les deux types de celluloïds que nous avons là ?
Alors d’abord le celluloïd c’est la matière, on appelle ça celluloïd mais c’est du triacétate de cellulose. C’est le support matériel. Le premier dessin qui représente Candy est de Mitsuo Shindo qui présentait au staff technique la silhouette du personnage pour la série animée, comment elle allait s’habiller, quelles seraient les couleurs. Le second celluloïd fait déjà partie de l’anime, il a servi à tourner une scène. Là il a été mis dans un cadre officiel du studio Toei. Enfin le troisième cellulo est une présentation technique du personnage d’Elisa, l’adversaire de Candy dans la série.
Le cadre mis par la Toei a-t-il été ajouté par le studio pour le commercialiser ?
À la base les celluloïds n’ont pas été faits pour être vendus. Comme pour les bandes dessinées de Tintin, lorsqu’elles étaient produites, on n’a jamais pensé que c’était pour en vendre les originaux. D’ailleurs les celluloïds étaient assez mal traités et parfois brûlés par certains studios ; en France des celluloïds de la série Ulysse 31 ont été incinérés dans un endroit spécifique dans les années 1980-1990. C’était des déchets de production, comme des déchets d’imprimerie. Sauf que chaque cellulo est gouaché à la main, sur l’envers, c’est quand même du travail artisanal. Chaque studio avait ses propres couleurs et ses propres mélanges dits “indélébiles”. C’est pour ça que c’est émouvant, en trouver aujourd’hui c’est possible, on en voit de plus en plus, j’en ai diffusé un certain nombre, mais ceux-là sont absolument historiques et en parfait état. Pour expliquer un peu… chaque dessin comme cette présentation du personnage est d’abord supervisé par le character designer, ensuite il donne ses ordres et le staff technique peut alors représenter les différentes étapes de l’action sur vingt-quatre images par secondes, à partir de douze images différentes pour une seconde environ, mais ça peut être moins. On se base sur les genga, qui sont les poses-clés de l’animation, et ensuite il y a des intervallistes qui complètent la séquence entre chaque pose-clé avec des images intermédiaires et qui affinent le mouvement pour former une séquence. C’est un travail minutieux.
Le trait noir qu’est-ce que c’est ?
C’est le trait original du dessinateur qui passé à la flasheuse, le dessin sur papier est alors retranscrit directement sur le celluloïd. Le staff technique remplit ensuite sur l’envers les surfaces avec les couleurs qui sont indiquées et numérotées.
Qu’est ce que le collectionneur recherche tout particulièrement ?
Il n’y a pas vraiment de préférence, mais avoir la présentation du personnage comme ici, c’est un peu le must. Il détient l’histoire avec un grand H de cette série animée. Il y a d’autres objets qui accompagnent l’histoire d’un anime. Par exemple, je pense être le seul à avoir les premières peintures de la série Goldorak faites par Kazuo Komatsubara, le character designer. C’est petit et en même temps énormissime à voir, avec un détail incroyable et des dégradés de couleurs. C’est tout le travail en amont de l’épisode numéro 1 de Goldorak.
Ces peintures étaient des travaux préparatoires ?
On ne sait pas… Mais c’est génial ! ça pourrait peut-être être un travail personnel. Toutefois ils n’avaient pas vraiment le temps ni la liberté de faire beaucoup de choses à côté de leur travail d’animateur. La technique japonaise de l’animation est connue pour son procédé « à l’économie » avec une grande cadence dans la production ; pour aller plus vite sur la réalisation d’une scène, par exemple, les animateurs pouvaient remplir le fond avec du noir pour ne pas avoir à faire le décor. Ce que le collectionneur recherche, je pense, c’est ce qu’il a connu directement c’est vrai, mais aussi tout ce qui est immergé, car à ce moment-là il se sent privilégié. Plus on remonte à l’an 1 du big bang, plus le collectionneur est content. La présentation du personnage de Candy ici ne correspond pas au personnage du premier épisode mais c’est une perspective pour l’évolution du personnage sur la série.
Que représente Candy candy dans l’histoire culturelle de la télévision et de l’anime ?
En ce qui concerne son univers étendu, la série est, avant Dragon Ball, celle qui représente la plus grande entreprise d’animation et de produits dérivés, et notamment dans ses ventes à l’international. Dans les années 1980 Goldorak c’est Michael Jackson et Candy c’est Madonna si vous voulez… Candy à la télévision française passait juste avant Goldorak ce qui rendait captifs les petits garçons qui attendaient la série au robot et ce qui a fait que Candy était vu aussi par les garçons même si c’est une série très orientée pour les filles.
Le jouet c’est donc un produit dérivé autour du marketing de la série…
C’est l’aspirateur de Candy, un produit dérivé autorisé par la Toei et produit par Bandai, il faut comprendre que l’univers de produits dérivés de la série au Japon est vraiment énorme : le tablier de cuisine, les savates, les noeuds pour cheveux… Ici cet aspirateur est un jouet mais il est aussi fonctionnel. Il y a même des billes plastiques à aspirer pour faire la poussière…Beaucoup de petites filles japonaises rêvaient d’avoir cet objet pour l’utiliser. Tout le monde n’avait pas accès à cet objet car il a été en rupture de stock, tout le monde ne pouvait se l’acheter, il coûtait entre 2 000 et 3 000 yens… ça pouvait faire rêver les enfants de toutes les classes sociales, même ceux qui n’avaient pas à faire le ménage à la maison.
Les produits dérivés Candy étaient diffusés en Europe ?
Oui, même presque plus que les objets de la série Goldorak… Dans Candy on est dans une série réaliste, contrairement aux séries à la mode à ce moment-là comme les séries de SF, de robots ou de mécha. C’est une série qui a une vocation universelle, avec des valeurs morales consensuelles comme le sens de la famille. Son image a aussi vocation “universelle” : c’est une petite américaine blonde aux yeux bleus.
Cet objet ressemble-t-il à un objet tiré du dessin animé ?
Non c’est un jouet mais il n’existe pas dans le dessin animé. L’univers de la série a été créé pour les japonais et sa diffusion internationale n’était pas programmée, y compris les objets dérivés. Ainsi le Japon a fourni des objets qui étaient prévus pour le marché intérieur mais ce n’était pas le plan qu’ils s’arrachent à l’international. Au bout d’un moment des jouets ont été développés pour être commercialisés à l’étranger. Pour certains jouets, il y a donc eu peu de séries d’objets, d’où leur valeur pour le collectionneur.
Est-ce que pour vous les celluloïds devraient avoir leur place dans un musée ?
Je me suis demandé pourquoi les Japonais n’ont pas de musée du manga et des anime [1], et s’il y en a il n’y a pas grand-chose dedans. On a le même problème en France pour la bd, la grande majorité des planches originales se trouve dans des collections privées. Je n’étais pas destiné à trouver ces trésors, pour moi ils auraient dû être dans un musée à Ueno [2]. Mais en même temps je pense qu’il faut faire plaisir au fan, si les fans veulent ces objets, pour moi, autant de ne pas les en priver, surtout avant que ça devienne désuet… Ces séries d’animation sont des références pour une génération mais à la suivante, ce sont d’autres séries et d’autres objets qui comptent.
Mais est-ce que ces objets ne peuvent pas témoigner de techniques de production d’animation qui ont aujourd’hui disparu ?
Oui ces techniques ont disparu avec l’ordinateur, avec les années 2000. Ça a considérablement modifié l’animation car cela économisait beaucoup de temps de réalisation du dessin notamment. Mais à l’inverse ces séries artisanales des années 80 sont plus épurées et il y a un plaisir visuel à cela. Ces techniques artisanales se sont maintenues pendant des décennies, mais je ne peux pas vous en dire plus… Je ne dirais pas que par rapport à d’autres productions la technique d’animation de Candy Candy était particulièrement novatrice mais par contre c’est une série singulière par rapport aux autres séries de cette époque plus orientées vers la SF et l’espace : c’est une histoire profondément terrestre.
Quelle serait pour vous la meilleure façon d’exposer ces celluloïds dans le cadre d’une exposition ?
Le premier enjeu est plutôt la conservation que l’exposition : sous des verres anti-luminosité, et à l’abri de toute projection d’eau. Mais sinon encadré et accroché aux murs cela me semble déjà très bien. Ce qui peut être intéressant c’est de réunir une scène complète pour voir la suite des images et comprendre ce qui se passe en une ou deux secondes derrière l’écran. Les annotations sur les celluloïds permettent de connaître l’ordre des images.
Il existe un organisme d’authentification de ces celluloïds ?
Non et puis de toute façon les certificats peuvent se falsifier aussi. Mais il y a encore ceux qui ont travaillé pour ces studios et qui sont encore en vie pour témoigner, mais parfois ces personnes sont lassées d’en discuter et ne répondent plus. Moi je connais par expérience, mais je ne connais bien qu’une partie de ce domaine qui est énorme.
Quel serait l’intérêt pour une institution patrimoniale comme la Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image d’acquérir des objets comme celui-ci ?
Je ne sais pas. En ce qui concerne les expositions, un collectionneur peut avoir un intérêt à montrer ses objets dans le cadre d’un événement et faire connaître ses trésors. Il pourrait éventuellement tirer un petit bénéfice sur le prix des billets de l’exposition.
Comment avez-vous commencé à collectionner, par quel moyen ça s’est fait ?
Je me suis posé la question de nombreuses fois. Le tout départ c’est Goldorak, phénomène unique à la télévision. La collectionnite je l’avais déjà avant de commencer ma collection de celluloïds. Je débarque au Japon à 19 ans en 1991 avec une Japonaise. L’oncle de mon épouse, Hideo Gosha, était un grand réalisateur de films, et ainsi j’ai pu rencontrer des personnalités du milieu de la production cinématographique et télévisuelle. Ainsi privilégié, j’ai pu explorer l’univers des studios de l’animation, il y a aussi des rencontres personnelles que j’ai faites. Je visite les studios de la Toei et de la Tōhō, mais aussi le studio Tatsunoko, je sympathise alors avec les frères Yoshida [3]. J’ai vu beaucoup de choses que personne n’a vu. J’ai aussi servi d’intermédiaire pour des missions avec des collectionneurs et des vendeurs japonais.
Maintenant vous êtes passé à la vente, est-ce un chemin traditionnel ?
Le collectionneur classique préfère garder, mais moi j’ai trop accumulé, et puis parfois j’ai été investi d’une mission pour vendre certains objets. Je l’ai aussi fait parce que j’avais besoin d’argent. Et puis une collection soit on la garde, soit on la vend mais ça me paraît moins logique de me séparer d’objets petit bout par petit bout. Mais j’ai encore plein de choses à montrer aux collectionneurs, c’est cela qui m’amuse plus que tout.
Combien vaudrait l’un des celluloïds que vous nous avez montrés là ?
Les objets de ce type comme les celluloïds commencent à 1000€ mais une pièce plus historique comme la présentation du personnage peut atteindre 10 000€, voire 30 000.
Entretien réalisé en septembre 2022
[1] NDLR : Il existe un musée de l’animation à Tokyo, le Tokyo Polytechnic University Suginami Animation Museum, mais également des musées généralistes comme le musée du manga de Kyoto, ainsi qu’un certain nombre de musées et de collections personnelles qui comportent désormais ce type d’objets.
[2] Quartier de Tokyo où sont rassemblés les grands musées de la ville
[3] Fondateurs du studio Tatsunoko, qui a entre autres produit Gatchaman connu en France sous le nom de la Bataille des Planètes.