Dans la bibliothèque d’un collectionneur tintinophile. Entretien avec Olivier Roche
Depuis plus de trente ans, Olivier Roche collectionne les ouvrages, articles de presse, albums « pirates » et catalogues qui se rapportent à Hergé et à l’univers des Aventures de Tintin. Cet amoureux du livre autant que d’Hergé ouvre exceptionnellement les portes de sa collection à Neuvième Art.
C’est au 4e étage d’un appartement haussmanien que nous avons rendez-vous avez Olivier Roche, collectionneur tintinophile qui accumule depuis plus de trente ans une documentation extrêmement riche sur Hergé et son univers. Olivier Roche se définit comme méta-tintinologue : à l’heure où les études sur l’œuvre d’Hergé ne cessent d’enfler (on dépasse les 600 références fin 2023), celui-ci a réalisé – en collaboration avec Dominique Cerbelaud – un classement bibliographique des études hergéennes, depuis les ouvrages de référence jusqu’aux publications confidentielles. Intitulé Tintin. Bibliographie d’un mythe (Les Impressions nouvelles, 2014), l’ouvrage s’accompagne de la mise en ligne d’un site internet (http://www.bibliographiedunmythe.com). Olivier Roche est également le créateur de La Houppette libérée, un bulletin d’information sur l’actualité tintinophile lancé en 2021. Il nous reçoit dans son bureau, où se situe l’essentiel de sa collection, pour nous faire visiter sa bibliothèque et retracer son parcours de collectionneur.
Couverture de l’album pirate Tintin à Paris (1984)
Peux-tu revenir sur ton parcours de lecteur ?
Toute ma famille était dans l’enseignement. Mon grand-père, André Pézard, était italianisant et a terminé sa carrière au Collège de France ; sa fille, Fanette, professeure d’histoire de l’art à l’université Paris I et mon père, Daniel Roche [historien spécialiste de l’Ancien Régime] a également fini au Collège de France… Enfant, j’ai fait une réaction négative à la lecture, entre l’Éducation nationale qui voulait me faire lire des livres d’office et mes parents qui voulaient que je lise absolument tout le temps, j’ai eu un gros problème avec la littérature. Mon intérêt pour la lecture est venu plus tard : j’ai manqué tous les classiques et je suis davantage un lecteur de romans policiers et de science-fiction. Mais je me suis intéressé très tôt à la bande dessinée, d’autant plus que mon père avait dans sa bibliothèque quatre ou cinq albums de Tintin, des vieilles éditions des années 1950-1960. Comme beaucoup de mes confrères tintinophiles, j’ai appris à lire dans les albums de Tintin. Le premier titre sorti après ma naissance est Vol 714 pour Sydney : je me souviens que mon père m’a emmené l’acheter en plein Mai 68. Cet album m’a beaucoup marqué. Mais mon album préféré reste Les Bijoux de la Castafiore.
Enfant, j’étais un dévoreur de bandes dessinées. J’avais une tante merveilleuse, Sylvie, la sœur de ma mère, qui m’achetait des séries – Gaston, Les Schtroumpfs, Gil Jourdan, Blueberry, Valérian, etc. – et mes parents m’achetaient Spirou, Pif et ensuite Pilote. Je n’ai jamais été un fan du journal Tintin, qui m’intéressait beaucoup moins.
Adolescent, je voulais faire de la bande dessinée. J’avais pondu, au moment de la sortie de L’archipel du goulag [1973], une bande dessinée d’une centaine de pages très mal dessinées intitulée Les aventures de ce cher Alex [Soljenitsine]. Ma mère, qui connaissait Jacques Goimard et Francis Lacassin, m’a obtenu un rendez-vous à Charlie Hebdo. J’ai été reçu par Wolinski rue des Trois-Portes. Il a été adorable, il m’a dit que mon récit était très amusant mais qu’il fallait travailler le dessin. Je suis ressorti de là avec une pile du mensuel Charlie. J’ai fait quelques parodies de Tintin aussi : avec un copain, on a découpé des cases de Tintin et les Picaros dans le journal Tintin en 1975 pour fabriquer une autre histoire. Mais tout cela n’a pas eu de lendemain. Quoique…
Couverture de Dossier Tintin de Frédéric Soumois (1987), qui propose une analyse approfondie de chaque album
Est-ce que tu as arrêté la pratique de la lecture de bande dessinée à l’adolescence ou à l’âge adulte ?
Je n’ai jamais arrêté la lecture de bande dessinée, avec peut-être un peu moins de passion entre mes 18 et mes 30 ans, où je m’intéressais davantage au triptyque sex, drugs and rock’n’roll. Je suis tout de même resté lecteur de bandes dessinées, en élargissant progressivement mes centres d’intérêt, avec notamment L’Écho des savanes, Métal Hurlant, Fluide Glacial et, bien sûr (À Suivre). J’ai toutefois un immense regret : ayant besoin d’argent, j’ai revendu la plus grande partie de ma collection à vil prix, tous les périodiques et les albums Dupuis. Heureusement j’en ai gardé beaucoup, Hugo Pratt par exemple qui m’a toujours fasciné, et je n’ai jamais revendu Tintin. Au contraire, j’ai continué à acheter les nouveautés, comme l’intégrale Rombaldi, Tintin et l’Alph-Art que j’ai précieusement conservé...
Est-ce que ton parcours professionnel a un lien avec la bande dessinée ou le monde du livre ?
Des liens se sont créés, même s’ils n’étaient pas directs. Par ma famille, j’ai toujours été sensible à l’objet livre, même si je n’étais pas un grand amateur de littérature. Je me suis également intéressé à la presse et au journalisme. J’ai commencé ma carrière au journal Le Monde, où j’ai débuté au service des abonnements, avant de travailler à la direction de la communication. J’avais notamment la charge d’un petit journal interne, baptisé Le Tour du Monde, ainsi que des visites de l’imprimerie pour le public extérieur. Dans Le Tour du Monde, je publiais les dessins de Plantu qui avaient été refusés par la rédaction ! Puis je suis ensuite entré au ministère des Affaires sociales et de la Santé, où j’ai essentiellement travaillé en centre de documentation et dans la communication. J’étais entre autres chargé de la revue de presse, à une époque où on recevait tous les journaux et les magazines. J’adorais lire le panel de la presse, de l’extrême-gauche à la droite. Cela m’a également permis de compiler, pour moi-même, les articles consacrés à Hergé et de me constituer une importante revue de presse : tous les articles parus dans la presse relatifs à Tintin, ainsi que les articles ou la titraille qui intégraient une référence aux albums (le sparadrap du capitaine Haddock, des policiers qualifiés de « Dupondt »…).
Quand as-tu commencé à collectionner les albums et les ouvrages sur Tintin ? Y-a-t-il un élément déclencheur ? Est-ce que tu as fait d’autres types de collection ?
Au départ, je collectionnais Tintin sans le savoir. J’achetais ce qui sortait, mais je ne posais pas le mot collection dessus. Plusieurs éléments m’ont conduit à collectionner les ouvrages sur Hergé. En 1988, j’ai découvert le livre de Frédéric Soumois, Dossiers Tintin que j’ai vu entre les piles d’ouvrages de philosophie et de sociologie à la librairie des PUF, boulevard Saint-Michel. J’ai trouvé cela curieux, et j’ai découvert ainsi qu’il existait des livres sérieux sur Tintin. La lecture de ce livre m’a passionné. Très peu de temps après, en passant devant la librairie Lutèce, située rue Monge, je vois en vitrine l’album pirate Tintin à Paris, livre sous jaquette où l’on voit Tintin dans le désert. J’ai acheté l’album, qui coûtait une fortune pour l’époque, en quémandant de l’argent à mes parents. Au moment où je sors de la librairie avec l’album, le libraire me rattrape, et il me sort un bac avec des dizaines d’albums pirates de Tintin. À partir de ce moment-là, je suis plongé dedans.
J’ai découvert également le numéro de Schtroumpf. Les cahiers de la bande dessinée dans lequel Numa Sadoul recensait toutes les publications sur Hergé. Je me suis dit que j’allais me procurer l’ensemble des titres de cette bibliographie. Vaste programme… Dès lors, j’ai acheté les grands classiques, comme Le Monde d’Hergé de Benoît Peeters, Les métamorphoses de Tintin d’Aposolidès, Hergé et Tintin reporters de Philippe Goddin…
En dehors de Tintin, je ne dirais pas que j’ai une collection de bande dessinée : j’en ai et j’en achète beaucoup, mais j’en revends et je ne garde que ce que je juge indispensable. Je n’ai pas le même esprit de collection, je ne cherche pas à avoir les éditions originales, les livres qui sont parus autour de l’œuvre… Cependant, je le fais quand même un peu avec Hugo Pratt, avec Peeters et Schuiten pour Les Cités obscures. J’achète également beaucoup de littérature sur la BD et des intégrales, notamment celles de Dupuis qui s’accompagnent d’une présentation de l’œuvre, et dont certains feraient bien de s’inspirer…
Qu’est-ce que tu collectionnes précisément, et qu’est ce qui reste hors du champ de ta collection ?
Je me suis tout de suite mis à collectionner tout ce qui se faisait autour de l’œuvre et de l’auteur, plus que l’œuvre elle-même. Je ne me suis jamais lancé à la recherche des éditions originales des albums, sauf pour Vol 714 pour Sydney, pour lequel j’éprouve une tendresse particulière liée à mon enfance.
Le champ de ma collection, c’est le papier : les livres, les articles et dossiers de presse, les brochures. Je fais de rares exceptions pour le numérique, mais je n’aime pas lire sur écran et il n’y a pas ce rapport physique au livre ou au journal. Je cherche à être le plus exhaustif possible : j’essaie d’avoir toute l’exégèse – c’est l’objet de mon livre Tintin. Bibliographie d’un mythe –, la revue de presse, les albums parodiques et pirates, la littérature des associations… Et j’ai un côté bibliophile : pour les ouvrages relatifs à Hergé, je souhaite avoir toutes les éditions : les variantes, tirages de têtes, les différentes éditions…
Par ailleurs, depuis une dizaine d’années, comme je collectionne la littérature sur la bande dessinée, j’essaie de racheter ce qui a été publié il y a longtemps pour me constituer une bibliothèque sur la bande dessinée afin de pouvoir travailler dessus dans le futur.
Appartiens-tu as des réseaux tintinophiliques ? Comment s’organise cette socialisation autour de ta collection ?
Le développement de ma collection est lié en particulier à l’association des Amis de Hergé, à laquelle j’ai adhéré en 1990, cinq ans après la création de l’association. Je me rendais aux Assemblées générales et, au fil des ans, des liens d’amitié se sont créés.
À l’époque, je me suis bâti un plan. J’avais des modèles, des maîtres, et je voulais les rencontrer puis me mettre si possible à leur niveau, pour faire la même chose qu’eux, d’une manière ou d’une autre. Je voulais monter en haut de la pyramide, jusqu’à la Fondation Hergé. Ce dernier objectif n’a pas vraiment été atteint ! (rires).
Comment cette socialisation a fait concrètement évoluer ta collection ? As-tu pratiqué des échanges, reçu des dons… ?
L’association est d’abord un pourvoyeur d’informations, soit par les échanges réels, soit par la revue, soit par courriel. Il s’agit d’être au courant de tout ce qui sort. Je suis présent aussi sur des forums thématiques, l’un consacré aux parodies, l’autre aux publications scientifiques… Sur ces forums privés et groupes de discussion divers, qui réunissent des dizaines de passionnés, un des principaux buts, c’est d’échanger de l’information. J’ai aussi, avec deux de mes meilleurs amis, en Belgique et en Suisse, un groupe Whatsapp : on achète tout ce qui sort dans notre pays en trois exemplaires, et on se rencontre tous les deux ou trois mois pour échanger nos découvertes. J’ai également des correspondants tintinophiles en Suède, en Espagne, au Portugal, au Québec, avec lesquels on se rend des services. Ce réseau permet d’alimenter ma collection en permanence. Et puis lors de chaque voyage, ce sont de nouvelles rencontres, en Roumanie, en Italie, partout ! Le fait qu’il y ait toujours quelque chose à chercher est en soi excitant. La recherche est en elle-même un plaisir, et heureusement il y a toujours quelque chose à trouver !
Couverture du coffret Les périls québecois de Tintin réalisé pour le Comic Con de Montréal en 2012
Comment te procures-tu concrètement les ouvrages de ta collection sur Tintin ? Par quels réseaux passes-tu pour te procurer les livres, les articles qui t’intéressent ?
Ma première source, c’est le libraire. Mon réflexe, c’est de trouver ou de commander chez le libraire. J’ai un réseau de libraires d’occasion : deux ou trois d’entre eux, que je connais bien, savent ce que je recherche et me réservent certaines trouvailles. Je ne dis pas qu’ils cherchent systématiquement pour moi, mais ils m’appellent de temps en temps quand ils ont une pièce qui peut m’intéresser. Je privilégie vraiment le libraire et l’aspect humain de cette relation. Je vais également en brocante, notamment la grande brocante qui a lieu tous les ans en mars à Nivelles avant l’assemblée générale des Amis de Hergé, qui réunit plusieurs centaines de vendeurs d’occasions. J’ai aussi beaucoup fait les bouquinistes des quais de Paris, même si je le fais moins maintenant. En dernier ressort, j’utilise les sites de vente sur internet. Je vais notamment sur Ebay pour acquérir de vieilles choses que l’on ne trouve pas ailleurs.
Étant donné que je suis connu pour être un gros collectionneur, plusieurs amis m’ont donné leur revue de presse sur Tintin. D’autres me l’ont vendue. Certains auteurs comme Albert Algoud, ou Michel Porret m’ont donné une partie de leurs archives personnelles, dans lesquelles on retrouve toutes sortes de documents. J’ai gardé leurs fonds de façon séparée pour l’instant. Jacques Langlois m’a aussi cédé une grande partie de sa bibliothèque tintinophile. Cela m’a permis de découvrir quelques éditions que je ne connaissais pas !
Comment s’organise ta bibliothèque sur Tintin ?
J’ai un objectif d’organisation pour mon prochain déménagement, qui arrivera bientôt. Il faut savoir qu’en 20 ans, j’ai déménagé cinq fois, ce qui est très perturbant pour l’organisation de ma bibliothèque, qui représente pour l'instant une soixantaine de mètres linéaires et il me reste environ 200 autres cartons à trier qui ne sont pas tous ici…
De façon générale, la bibliothèque située dans mon bureau s’organise en quelques grandes parties :
– Les albums pirates et les parodies, les clin d’œil des dessinateurs de presse, les hommages divers et variés à l’œuvre d’Hergé
– Les revues de presses, dossiers de presse, la littérature grise et les articles scientifiques sur Tintin
– La production des associations tintinophiles. Il existe plus d’une vingtaine d’associations tintinophiles dans le monde, qui ont produit des documents (revues, bulletins, affiches…). J’ai classé leur production par association.
– L’œuvre elle-même. Tous les albums en plusieurs exemplaires d’éditions différentes, l’ensemble des intégrales ainsi que les intégrales parues en langues étrangères, les coffrets et les éditions spéciales.
– Enfin, la « bibliothèque tintinophile » qui comprend exégèses, analyses, hommages et autres choses sur Hergé et son œuvre. Je possède dans cette collection toutes les différentes éditions des ouvrages parus sur Tintin (tirage de tête, rééditions…).
On trouve dans une autre pièce tous les ouvrages et numéros de journaux qui ne sont pas sur Hergé ou Tintin, mais qui citent Hergé ou son œuvre d’une manière ou d’une autre. On y retrouve également des albums parus en langues étrangères, mais je ne les collectionne pas systématiquement. Je ne collectionne pas les objets, même si j’en ai quelques-uns qu’on m’a offerts ou pour lesquels j’ai eu un coup de cœur. J’ai un petit problème avec les collections en ventes en kiosques que propose le gestionnaire de l’œuvre (figurines, maquettes). Je suis preneur des fascicules qui accompagnent ces objets, mais pas les objets en eux-mêmes.
Couverture de l'ouvrage Tintin, bibliographie d'un mythe d'Olivier Roche et Dominique Cerbeleaud, Les Impressions nouvelles, 2014
Avec Dominique Cerbelaud, tu as rédigé Tintin. Bibliographie d’un mythe, un ouvrage de référence sur la bibliographie tintinophile. Comment as-tu pensé ce classement bibliographique ? Est-ce inspiré de ton classement de bibliothèque ?
Je reviens à mon article « Tintin, de la collection à l’encyclopédie1 » : à un moment de mon cheminement, je me suis dit que c’était bien beau d’accumuler une bibliothèque sur Tintin, mais qu’il fallait aussi donner du sens à cette collection, comme l’avaient fait Les Amis de Hergé en publiant La Bibliothèque tintinophile idéale [2002]. J’ai donc réfléchi à l’organisation d’une bibliographie raisonnée intégrant toute la littérature hergéenne. A cette époque, je me suis lié d’amitié avec Jean-Marie Apostolidèsqui m’a présenté Dominique Cerbelaud, qui avait lui aussi un projet de bibliographie. On a échangé nos idées par courrier puis par mail. Benoît Peeters, qui connaissait nos travaux et était au courant de nos échanges, nous a proposé de réaliser un livre ensemble. On a travaillé pendant deux ans sur ce projet, en créant ensemble le sommaire pour classer les publications. On s’est réparti les notices en fonction de nos centres d’intérêt. Le sommaire de cette bibliographie s’inspire de mon propre classement, mais il a évolué au fur et à mesure de notre travail sur le livre. Les titres de la table des matières vont évoluer dans la prochaine édition prévue pour 2025, en particulier pour faire entrer les titres qui sont parus depuis 2014…
Comment gères-tu l’espace que prend la collection qui nous entoure ? Comment stockes-tu concrètement cette documentation ? Et comment fais-tu pour t’y retrouver ?
J’ai la chance d’avoir un grand appartement, ce qui fait que j’ai une pièce dédiée à ma collection, même si elle ne suffit pas. Je construis moi-même mes bibliothèques. Je fais mes mesures en fonction des livres que je veux mettre. La revue de presse est intégrée dans des classeurs rangés par ordre chronologique : je découpe l’article dans le journal et je le range dans une pochette plastique. Malheureusement, pour l’instant, toute une partie de ma collection est encore dans des cartons, faute de place. Ils comprennent notamment les documents que je suis en train de classer. Le projet final, dans une résidence plus spacieuse, serait d’avoir un espace conséquent de 50-70m2 au sein duquel je placerai toute ma collection dans des bibliothèques faites par mes soins.
Le passage de l’amateurisme au professionnalisme dans la gestion de ma collection s’est fait très progressivement. Je n’ai jamais tenu un tableur Excel pour recenser tous les articles, par exemple. Je me mets maintenant à Excel pour recenser mes livres et m’y retrouver. Grâce au tableur, je sais maintenant que j’ai 1 025 volumes pour la bibliothèque sur Hergé et son œuvre, en incluant toutes les variantes (rééditions...), ce qui donne un peu plus de 600 références uniques.
Couverture de l’exégèse de Jean Tibi, Voyage au pays de Tintin
Est-ce que tu peux nous parler de certaines pièces remarquables de ta collection ?
La collection, c’est une quête, qui peut durer longtemps quand on cherche à obtenir un livre vu dans une bibliographie. Certains livres ont aussi une valeur à mes yeux en raison du temps que j’ai mis pour les avoir, car il y a une émotion dans la trouvaille de certaines pièces. Je pense par exemple au livre de Jean Tibi, Voyage au pays de Tintin, paru en 1983 et que j’ai mis des années à trouver. Un jour, mes amis m’ont fait une blague lors d’un brocante : ils ont fabriqué un faux Tibi et l’ont collé dans un bac juste avant que je passe ! J’ai trouvé le vrai bien après… Certaines pièces sont vraiment très rares, comme l’édition en deux volumes de Tintin et l’Alph-Art réalisé en 1986 sous la houlette de Benoît Peeters, qui est en fait un prototype de l’édition finale. Cette édition présente des pages en triptyque avec d’un côté la planche crayonnée, puis le texte dactylographie et enfin un agrandissement. Cette tripartition n’est pas très lisible, et Casterman a changé de formule.
Concernant le mouvement parodique, j’ai un projet d’essai qui présenterait les pastiches, pirates et hommages, et qui mettrait en évidence les auteurs, les imprimeurs et les diffuseurs sous le manteau. Dans le cadre de ce projet, j’ai tissé des liens avec des collectionneurs, certains auteurs comme Harry Edwood ou Pascal Saumon. Harry Edwood a fait des choses intéressantes, comme Les périls québécois de Tintin, un album pirate hommage que j’ai vendu avec lui au Comic Con de Montréal en 2012. Quand on s’est rendu là-bas, on n’avait que les coffrets vides à proposer, car Harry n’avait pas pu tout faire imprimer avant le voyage… mais cela s’est vendu quand même, et on a fini par envoyer le reste par correspondance.
La parodie qui m’a le plus marqué, c’est L’énigme du 3e message, paru en Suisse [deux volumes sont parus aux Ateliers libertaires de Genève, en 1986 et 1988], une aventure politico-SF sur fond de fin de monde. C’est assez bien fait. Ils ont utilisé des cases d’Hergé qu’ils ont remonté, redécoupé avec des dessins de transition. Les éditions pirates de Tintin chez les Soviets puis de Tintin au pays de l’Alph-Art ont également beaucoup de sens à mes yeux, car elles sont fondatrices de ce mouvement. Je pense par exemple au Tintin et l’Alph-Art d’Yves Rodier. Cet album, non-autorisé par l’ayant-droit, tiré à très peu d’exemplaires à l’origine, a lui-même été piraté à l’infini, si bien que des milliers de copies ont été réalisées, souvent nettement moins soignées…
Mais, il faut dire que, si certains albums pirates sont bien faits, 90 % de cette littérature parodique est assez mauvaise. Globalement, on fait un bouquin avec Tintin, ça se vend. C’est comme pour les exégèses, même si pour l’instant il y a toujours quelque chose à dire sur Tintin, que la fortune critique d’Hergé ne se dément pas, je ne suis pas sûr que tout mérite vraiment d’être édité…