blanche épiphanie, « Le retour de l’aigle noir »
Cette planche de Pichard se caractérise par la surcharge décorative, à travers la noircissure du fond et le recours à l’aplat, la référence au modern style et enfin le recours à l’allégorie ridicule. Cette dernière est prise en charge au premier chef par le dispositif : la segmentation en bandeaux et en cases est assurée par des feuilles de chêne et de laurier et par un glaive flamboyant, évoquant celui des chérubins qui gardent l’arbre de vie dans la Genèse. Le cartouche du titre est hérissé des trompettes de la renommée, du glaive de la justice et d’étamines frappées à l’initiale de Défendar, qui font penser autant à des drapeaux anarchistes (le pavillon noir des pirates, celui du capitaine Nemo) qu’à des références internes au corpus pichardesque (Ténébrax constitue lui aussi de façon autiste son propre État).
Au total, l’effet de ces allégories est à la fois vieillot et boursouflé, et l’artiste donne un bon équivalent graphique du style oraculaire des feuilletons populaires, habilement pastiché dans le texte de Jacques Lob.
Le dispositif ainsi allégorisé dispute l’espace disponible au contenu narratif. Le décor est absent, à part la mer, dont le traitement fait écho aux banderoles du paratexte. Quant aux personnages, représentés en pied, ils semblent raides et géométriques et ils n’occupent paradoxalement que la moitié des vignettes.
Le bandeau médian est fait de trois cadres ovoïdes. Ceux-ci renvoient à une pratique iconique (le XIXe siècle et la Belle-Époque découpent les photos en rond pour les plier aux normes du tableau rond ou tondo) en la détournant à des fins rhétoriques : il s’agit d’une parenthèse dans le récit, en l’occurrence d’un flash-back (souvent codé en BD par une case aux angles arrondis). Pichard utilise ici habilement le trait sémiotique du cropping (du rognage ou du recadrage), pour lui donner une valeur sémantique : ce qu’on voit est une explication sur le passé, qui par définition est à la fois lacunaire et focalisée.
L’allégorie est également repérable dans le contenu iconique. Le manichéisme du récit est traduit par le manichéisme du dessin : les personnages sont « tout noir » ou « tout blanc », mais c’est le justicier qui est en noir et l’infect banquier Adolphus qui porte un costume blanc. Le collant noir intégral de Défendar fait de lui un compromis entre Musidora dans Les Vampires de Feuillade, dont il serait une version masculine et osseuse, et la bande dessinée de superhéros (la lettre D sur son torse rapproche Défendar du superhéros de la Marvel, Daredevil).
Mais sur un autre plan cet apparent manichéisme est subverti par les préoccupations libidinales des auteurs. Le feuilleton du martyre féminin est détourné, puisque les auteurs rendent explicite le fait que les malheurs de Blanche Épiphanie intéressent surtout le cochon qui sommeille en tout lecteur. Quant au dessin de Pichard, il est foncièrement libidineux. C’est ce qui fait l’ambiguïté de Défendar. D’une part, la référence à Musidora le rapproche d’une figure homoérotique. D’autre part, il suffit de le comparer à son équivalent dans les littératures dessinées, Daredevil, pour repérer ce qui fait problème : Défendar est, graphiquement, un homme nu, rendu présentable par le fait qu’il est couvert d’un aplat noir.