aya de yopougon
Marguerite Abouet et Clément Oubrerie, Aya de Yopougon, t. 4 | planche 56 | Gallimard, 2008 | encre de Chine et correcteur blanc sur papier | 41,9 x 29,7 cm | inv. 2010.14.1 | Don des Amis du musée de la Bande dessinée
[Avril 2016]
Hybride sous tous ses angles – la distribution des personnages, les espaces oscillants entre la ville et le village, le Yopougon ivoirien et le Paris français, le jeu devenu topos entre vignettes régulières et tableau –, Aya de Yopougon l’est également, sinon principalement, par les mains qui l’ont façonné : Marguerite Abouet pour le scénario et Clément Oubrerie au dessin. Un duo…
Dans cette planche, extraite du quatrième tome des aventures de la belle et sage Aya, le duo écrit/dessine un duel. Aya, nouvellement reçue à l’Université, subit l’ire de son professeur de biologie pour avoir refusé ses avances. En dépit de l’occultation du discours des personnages dans cette planche originale, il est fort aisé de deviner leur voix grâce à cette admirable spatialisation des phylactères. Mais c’est plutôt de la dynamique du duel, d’un graphisme de l’opposition que surgit l’originalité de cette planche.
Composée de six vignettes régulières – on pourrait dire que ce penchant formel est l’unité de base, à quelques variations près, des différents tomes –, la mise en page de la planche est construite autour d’une séquentialisation binaire qui épouse la thématique du duel.
La première vignette, introduisant la planche, est un gros plan qui révèle le visage du « Professeur » tout en colère. Les deuxième et troisième vignettes sont, pour leur part, des plans larges qui, jouant une fonction presque décorative, présentent la salle de classe, les autres étudiants… et Aya qui, bien que silencieuse, demeure étrangement le centre de l’attention. Ce n’est pas le site du phylactère de la deuxième vignette, émanant du hors-cadre et désémantisant la présence des autres étudiants, qui fera penser le contraire. Enfin, Aya clôt la séquence de son air ahuri, en gros plan, avec trois grosses gouttes de sueur. L’arrière-plan de la quatrième vignette synthétise, avec brio, les fonctions décorative et rythmique des deux vignettes précédentes : à la droite d’Aya, une jeune fille impassible qui, figée, semble ne pas participer à la scène ; à sa gauche, un étudiant qui a tout l’air de rire de sa mésaventure ; et derrière, des personnages qui ne sont plus que des ombres.
Les quatre vignettes de la première séquence, considérées ensemble, dialoguent en s’opposant. La première vignette, où figure le « Professeur de biologie », affronte diagonalement la quatrième vignette qui indexe une Aya en sueur ; quand la deuxième vignette décorative, elle, est diagonalement opposée à la troisième. D’un côté, deux gros plans qui présentent les deux protagonistes de l’action ; de l’autre, deux plans larges qui aident à planter et à situer le décor, mais qui, surtout, dévoilent le côté face – dans la deuxième vignette – et le côté pile – dans la troisième vignette – de la salle de classe. Le duel entre Aya et son professeur n’envahit pas uniquement l’intrigue, il contamine et l’architecture de l’espace fictif et l’espace superficiel de la planche, plus clairement les sites qu’occupent les différentes vignettes. Cette architexture dramatisante s’avère dialogique. Tout fonctionne comme si le discours du « Professeur de biologie » semble être adressé non pas à toute la classe, mais seulement à Aya. Et c’est bien le cas. Le résultat esthétique d’une telle structuration des vignettes, pour que la planche s’autoaffiche comme miroir de l’intrigue, est une séquence en forme de croix, un chiasme iconique.
Et c’est lorsqu’Aya quitte son siège et se met debout pour se diriger vers le tableau que s’ouvre la deuxième séquence. Le décor que constituaient l’ensemble de la salle de classe et les autres étudiants se dissimule dans le hors-cadre ; le plan se resserre sur les deux protagonistes, les deux personnages en instance de duel que sont Aya et son professeur. À l’instar du chiasme iconique qui instaure un dialogue duel, en croix, dans la première séquence, les deux vignettes qui forment la deuxième séquence communiquent en s’opposant. Tandis que dans la cinquième vignette Aya et son professeur se font face, c’est de profil qu’ils sont présentés dans la sixième. Ici également, l’écriture du duel se meut en une architexture expressive de la dualité. Pas étonnant que le premier strip de l’autre face de la double planche dans l’album montre les deux personnages de ce duel se regardant…en chien de faïence.
Pourrait-on clore ce parcours dans l’arène de la planche sans sauter par la fenêtre de la quatrième vignette et admirer les deux palmiers qui la référentialisent, la tropicalisent ? Telle une deuxième vignette dans la vignette, cette fenêtre suggère un hors-cadre, un espace autre qui attend certainement… la libération d’Aya.
Alain Agnessan