Auteurs

D’une part, peu d’entre eux sont présents dans leurs associations, et ceux-là publient dans les revues illustrées alors considérées comme les plus modernes : ainsi Goscinny, Morris et Greg font partie du CBD et participent à Giff-Wiff, aux côtés de Lob et de Forest. D’autre part, ils ont du mal à se reconnaître dans les discours bédéphiles, qui privilégient l’exégèse des dessins plutôt que l’analyse de la profession. En fin de compte, quand ils participent aux conventions et salons de la bande dessinée, les dessinateurs et dessinatrices sont le plus souvent relégués aux séances de dédicace et n’établissent que peu de relations professionnelles avec les bédéphiles.

Cette distance s’explique par une perception différente de la pratique de la bande dessinée : alors que les bédéphiles cherchent à mettre en avant les singularités stylistiques et artistiques de chaque auteur, les dessinateurs et dessinatrices de bande dessinée pratiquent avant tout un dessin destiné au grand public, qui résiste mal à une analyse légitimante voulant situer la BD dans le monde de l’art.

Certains dessinateurs et dessinatrices jouent malgré tout avec les limites entre ces deux univers, cherchant à s’approprier les catégories d’analyses des bédéphiles tout en les mettant à distance. C’est ce que Boltanski analyse comme le « jeu inquiet avec la définition sociale de l’artiste » qui demande à la fois de « ne pas “se prendre au sérieux” », mais aussi de « ne pas “sous-estimer son travail” », une tension qui se résout par la parodie et le recours au gag. De cette position ambivalente, on trouve de nombreux exemples dans les bandes dessinées de Gotlib ou Greg, ainsi que dans la publication française du magazine satirique Mad à partir de 1965.