alack sinner
Scintille, scintille, planche 29 | 1976 | scénario de Carlos Sampayo | 42,8 x 32,5 cm | encre de chine et gouache blanche sur papier | Inv. 96.4.1
Une contre-plongée offre le point de vue d’une personne assise dans un wagon du métro de New York, en face d’un homme au premier plan qui « cale » la vignette sur la droite, qui la sépare nettement du plan suivant — où une porte s’ouvre. Cet homme est cadré de telle sorte que ses yeux sont hors-champ (et cet homme anonyme est le portrait du père de Muñoz). Les lignes de perspective du wagon en contre-plongée nous conduisent à Alack Sinner, debout, s’accrochant de la main à un anneau (il gardera les mains dans les poches tout le reste du temps de la page) parmi cinq voyageurs désolés perdus dans leurs pensées, avec un angle de 90 degrés qui les isolent les uns des autres. En allant retrouver Sophie chez elle, on peut supposer qu’il pense à son enquête en passe d’être conclue.
Alack connaît Sophie depuis peu mais l’appelle désormais par son prénom, et réciproquement. Lors de leur première rencontre, elle était nue sous un manteau, pour l’éprouver. C’est elle qui avait fait le déplacement jusqu’au bureau du détective, pour l’engager. Maintenant, à la pénultième page, nous ne sommes plus dans la provocation (parodie de la femme fatale dans les films noirs). Elle est torse nu, et elle va se rhabiller (se couvrir) à partir de la troisième vignette. Son frère cadet Vlady est en arrière-plan, dans la chambre. L’enquête le concerne aussi. Alack ferme la case à droite, en amorce, de profil (un rien perdu), à la manière de Pratt. Le point de vue est celui de quelqu’un debout à côté de son personnage principal alors que celui de la case trois est le plus improbable de tous ; il pourrait être celui de l’espion, de l’auteur omniscient et non plus de l’auteur attaché aux basques de son héros pour témoigner. La « production » a déplafonné la chambre pour en donner un panorama objectif, une description brève mais complète (là où un romancier balzacien aurait dû y consacrer plusieurs pages). Nouvel élément autobiographique, comme Muñoz en a parsemé toute son œuvre, cette pièce est le souvenir de celle où logeait le dessinateur à Londres peu d’années auparavant avec, sans doute, ces mêmes affiches au mur dont la plus identifiable est celle de Soutine. Le bazar relatif et pacifique et ces inscriptions font écho à ceux du métro sur la vignette au-dessus, plus agressifs, voire vindicatifs. Le trio forme là un triangle. Ils sont occupés par la même affaire, à égalité. Ce plan d’ensemble les défend tous au lieu de les opposer.
La quatrième vignette est dominée par le texte dit par Alack. On le lit sans perdre de vue Sophie, au premier plan, tournant le dos à Alack pour se rhabiller, mais le regardant par-dessus son épaule, ou plutôt acceptant ce qu’elle entend — s’en délivrant — en lui « tendant l’oreille ». Il est question de la résolution de l’affaire. Alack, en évoquant le frère de Sophie, l’aîné Issur, touche juste. Sophie va avouer. Touchée, elle s’agenouille, comme un boxeur groggy (son frère est boxeur). Les plis de sa vareuse pleurent plus encore qu’elle-même. Silence. Alack respecte l’émotion de Sophie et s’efface dans l’ombre. La contre-plongée s’accentue encore (point de vue dominant de la planche, effet appuyé par le caractère extraordinairement contradictoire de la plongée de la case trois). Le dessinateur reste au niveau de ses protagonistes, profondément empathique.
On peut supposer qu’entre la cinquième et sixième vignette Alack a offert du feu à Sophie — qui avoue alors sa pyromanie. Les larmes et les volutes de fumée, après les plis du vêtement, soulignent ici, en gros plan, le désarroi de Sophie. Alack reste discret, gêné d’être dans le cadre ; l’homme aurait voulu s’éclipser (du plan), le détective y reste à l’écoute des aveux. Bien que Sophie le qualifie, sans le penser, de maudit flic à la page suivante, Alack classera l’affaire.
Dominique Hérody